Beedle le Barde
Ce qui m’avait pris de pénétrer dans la réserve ? J’avoue que je ne sais pas très bien. Je ne suis pas vraiment du genre à chercher particulièrement à braver les interdits, et je n’avais aucune autre motivation spéciale pour passer cette morte mais… il faut croire que la curiosité était la plus forte. C’était un endroit interdit, regorgeant d’ouvrages potentiellement dangereux, et j’étais assez curieuse de savoir ce qu’il se trouvait en ces lieux. Alors quand j’avais aperçu cette porte entre-ouverte, et la voie libre pour la franchir, je n’avais pas hésité bien longtemps. Un petit coup d’œil, ça n’était pas grand-chose, n’est-ce pas ? Jetant de fréquents coups d’œil par-dessus mon épaule pour m’assurer que la bibliothécaire ne faisait pas demi-tour, j’avais poussé le battant, et m’étais faufilée à l’intérieur, repoussant la porte derrière moi pour éviter d’attirer l’attention d’un autre curieux comme moi et frissonnant quand l’idée de rester ici enfermée me traversa l’esprit. Certes, je connaissais depuis longtemps le sortilège de déverrouillage, mais si la bibliothécaire revenait et m’enfermait à l’intérieur par un sort que je ne saurais défaire ? J’hésitai un instant à rebrousser chemin, partagée entre la crainte de l’emprisonnement qui commençait déjà à me donner le sentiment d’oppression si particulier aux claustrophobes et le désir coupable d’assouvir ma curiosité.
Et puis je me décidai, me promettant de ne pas rester longtemps, juste le temps d’arpenter quelques rayonnages. Un lumos murmuré plus tard, j’inspectais les premières étagères qui s’offraient à moi, et les grimoires poussiéreux qui les emplissaient quand mon regard tomba sur un livre qui, à mes yeux, n’avait pas sa place parmi les autres.
« Les Contes de Beedle le Barde ? »
Ma voix n’était qu’un murmure, et pourtant, il me semblait avoir parlé déjà trop fort dans ce lieu où le silence régnait, lourd de menace. Je secouai la tête, refusant de céder à la panique, et m’emparai du recueil, un léger sourire sur mes lèvres fines. Qu’est-ce qu’un livre de contes pouvait bien faire parmi les dangereux volumes qui s’entassaient ici ? Je feuilletai quelques pages, avisant les noms des héros de mon enfance autant que l’étaient ceux des contes de Grimm, quand l’inattendu se produisit. En un instant, je n’étais plus dans la pièce sombre, mais dans une autre atmosphère tout aussi noire : autour de moi, des dizaines d’arbres, des centaines peut-être, noyés dans l’obscurité. Comment avais-je atterri ici ? Par magie, bien entendu, et je songeai que les apparences pouvaient sans doute être assez trompeuses… Un nouveau frisson me parcourut l’échine comme je m’inquiétais de ce qui allait pouvoir m’arriver à présent, et je resserrai la main sur ma précieuse baguette.
Comment sortir de là, à présent ? Une fois encore, j’hésitai. Aucun indice probant ne me permettait de savoir où me diriger, et j’ignorais si le livre m’avait happée comme j’en avais lu l’histoire dans un autre livre, enfant, si j’étais partie dans une autre contrée du monde que ma France natale, ou dans une autre dimension encore. Mon imagination fertile explorait nombre de possibilités et aucune ne me semblait plus logique qu’une autre. Je me décidai à faire quelques pas, au hasard, mais m’arrêtai presque aussitôt quand trois silhouettes se découpèrent sur la pénombre environnante. Je levai ma baguette, non pas menaçante quoi qu’un peu sur mes gardes, mais pour tenter de discerner les visages de mes interlocuteurs. Trois visages non pas identiques, mais manifestement proches. Un air de famille se dégageait d’eux, et même si je ne les identifiais pas encore, j’étais certaine qu’il y avait des liens du sang entre eux.
Je n’eus cependant pas le temps d’ouvrir la bouche pour tenter de demander de l’aide, sait-on jamais, que celui qui semblait le plus âgé levait une main comme pour me faire taire, et tendit sa baguette de l’autre. Un instant, je crus qu’il s’apprêtait à attaquer, mais il se contenta de prendre la parole et sans que je pus expliquer pourquoi car elle n’avait rien de caverneux, sa voix me glaça le sang.
« Nous sommes les trois frères, ceux qui possèdent les Reliques de la Mort. Tu es venue à nous, jeune sorcière, et voilà bien longtemps que nous n’avons plus eu de compagnie… »
Je restais ébahie devant cette information. J’avais toujours songé que les Contes recélaient au mois une part de vérité, mais de là à y être confrontée… Le premier des frères ne bougeait plus, et celui qui se tenait à sa gauche leva à son tour la main, qui se refermait sur une pierre que j’identifiais à présent sans peine.
« Nous t’offrons un choix que nous n’avons offert à personne jusqu’ici. Il te faudra prendre ta décision en ton âme et conscience, et t’en montrer digne. »
La baguette de sureau, la pierre de résurrection… Je savais d’ores et déjà ce que le dernier allait lever dans ma direction, et ne fut donc guère surprise de voir son bras se lever, sans que je puisse en distinguer la main, dissimulée sous la cape d’invisibilité.
« La baguette de sureau, la pierre de résurrection, la cape d’invisibilité. Voici le choix qui s’offre à toi. Nous t’offrons l’une de nos précieuses possessions, choisis-la bien. »
Indécise et surtout inquiète, je les observai tour à tour, en silence. Le conte contenait une mise en garde : les Reliques ne protégeaient pas de la Mort elle-même. Mais je n’y avais pas été exposée, n’est-ce pas ? Pouvais-je donc choisir sans crainte ? L’impression de danger qui m’habitait depuis que j’avais quitté la réserve ne s’évanouissait pas pour autant, et je tentais de peser le pour et le contre. D’emblée, j’écartais la baguette de sureau. Je n’avais jamais eu de désir de puissance particulier, et j’affectionnais trop ma propre baguette pour m’en délaisser. Les souvenirs qui y étaient rattachés, et le fait qu’elle me semblait parfaitement en adéquation avec moi-même ne m’incitaient pas le moins du monde à la troquer, même contre cet artefact légendaire. D’autant que le danger que pouvait représenter l’avidité des autres me refroidissait grandement. Je secouai doucement la tête et détournai le regard du premier des frères.
« Je n’ai pas besoin, ni envie, d’être plus forte, plus puissante que les autres. Je crois que je n’aurais pas vraiment l’utilité de cette baguette. Je préfère garder la mienne. »
J’étais parfaitement sincère et je crois qu’il le savait. Il baissa alors le bras, en silence. Le choix se restreignait donc aux deux dernières reliques, et pourtant, il me semblait bien plus difficile. Ecarter la baguette avait été naturel. Mais choisir entre la raison qui m’incitait à prendre la cape d’invisibilité, celle-là même qui avait protégé le jeune frère dans le conte, et mon cœur qui voulait s’emparer de la pierre de résurrection s’annonçait être une tâche autrement plus ardue. Je savais bien, au fond, que ceux que la Mort a emmenés ne peuvent revenir parmi nous, que celle qui est entrée dans l’autre monde ne peut plus revenir complètement parmi nous. Pourtant j’hésitai. Malgré la relative sagesse dont je pouvais faire preuve, et malgré mon don qui me permettait malgré tout de garder un certain contact, j’hésitai. Les bras de ma mère m’avaient tellement manqués, pendant ces cinq années… La pierre pourrait me permettre de la retrouver, d’être de nouveau auprès d’elle, et non plus seulement de lui parler. Sentait-il mon doute ? L’attisait-il, d’une manière qui m’échappait ? Je me sentais attirée par elle, irrésistiblement. Et je tendis même le bras, presque prête à m’en emparer.
Je m’arrêtais cependant, au bord de la nausée. Le malaise qui m’envahissait ne laissait pas de place au doute. Je ne pouvais pas la prendre. Je ne pouvais pas céder à un désir égoïste qui l’aurait rendue, elle, malheureuse. Comme la femme défunte du deuxième frère, Maman n’aurait pas vraiment fait partie de ce monde, et jamais les choses n’auraient pu redevenir comme avant. Et je ne pouvais pas être responsable de son malheur, même dans l’autre vie. Je repliais le bras, levant le regard vers le visage du propriétaire de la pierre, les yeux brillants de larmes.
« J’aimerais. J’aimerais qu’elle revienne, j’aimerais qu’elle soit toujours avec moi. Mais tout comme vous, je ne ferais que provoquer mon propre malheur. Elle est partie, elle ne fait plus partie de ce monde, et la forcer à y revenir n’apporterait rien de bon. Je ne peux pas faire ça. Ni pour elle, ni pour le reste de ma famille qui en souffrirait aussi, ni pour moi, parce que je le regretterais. »
Après un dernier regard peiné à la pierre, je tendis la main vers la cape, posai mes doigts sur elle mais suspendis mon geste avant de m’en emparer.
« Etes-vous bien certain de vouloir m’offrir cet artefact ? Pourquoi le mériterais-je plus que quiconque ? Je suis là parce que j’ai transgressé une règle, assouvi une curiosité déplacée. Pourrais-je seulement être digne de ce présent ? »
Je patientai plusieurs secondes, peut-être même une minute ou deux, attendant que l’un d’eux reprît la parole mais rien ne vint. Alors je refermais la main sur la cape et l’attirai à moi.
« Merci. »
Je murmurai à peine, comme si un mot de trop eût pu les faire changer d’avis.
« Je tâcherai de m’en montrer digne. »
A peine avais-je prononcé ces mots que le décor changea brusquement, de nouveau, et que je me retrouvais de nouveau dans la réserve, le livre des Contes à mes pieds, et la cape en main. Je le ramassai, le fermai et le reposai dans l’étagère. Et à pas de loups, prenant garde à ne pas être découverte avant d’avoir regagné des lieux autorisés, je quittai la réserve, pas très certaine de ne pas avoir rêvé tout ça…