London, 2018, dec. 23rd.

- Hi mom, dad...

J'ai vu la surprise dans leurs regards. Je leur avais dit que je rentrerais plus tôt que prévu, la dernière fois qu'on a échangé via une connexion médiocre alors que j'étais encore au fin fond de l'Afrique. Je leur avais dit qu'ils me manquaient, que les frangins me manquaient, que je risquais de revenir un peu plus tôt. J'avais demandé innocemment qui serais là, à Noël. Clare et Norman rentraient, c'était une certitude. Ensemble. De toute façon, Norman ne pourrait pas porter ses bagages seul.

- Comment ça ?

J'ai appris comme ça, par hasard, pour la peine, qu'il avait été blessé. Evidemment, ça n'a rien eu de particulièrement agréable, mais j'ai acquiescé quand maman, au vu de ma mine malgré l'image imparfaite, a tenté de me rassurer sur le fait qu'il allait s'en remettre. Mon frère a été blessé, et il ne va sans doute pas aussi bien qu'elle veut bien le dire, et je n'étais au courant de rien. Ma faute, à être partie si loin. Et si loin de la civilisation aussi. Mais ça n'enlève en rien le pincement au coeur que ça me fait. Et qui ne s'arrange pas quand ils me précisent que pour ce qui est de la présence des uns et des autres, pour Reece, rien n'était sûr. Et ça m'a pas mal ébranlée d'imaginer les fêtes avec tout le monde, sauf mon jumeau. Et je me suis promis que ça n'arriverait pas.

Mais chaque chose en son temps : Je ne savais pas encore si je pourrais réellement faire ce qu'il fallait pour revenir à temps, et sans regret, aussi. Alors j'ai été pas mal occupée, après cette conversation, pour tout régler. Ca n'a pas été une mince affaire, mais j'ai réussi à boucler ce que j'avais à boucler, à faire mes adieux à tous ceux avec qui j'ai travaillé dur tous ces mois sous le soleil de plomb du continent africain, et à mes protégés aussi. Je n'ai pas fait de promesse de revenir, parce que je n'ai aucune certitude à ce sujet. "Si Dieu le veut", m'ont dit certains, et j'ai seulement souri. Peut-être, oui, si leur Dieu ou le mien, celui de mon frère surtout, en a décidé ainsi.

Pour l'heure, il est temps pour moi de rentrer, et tant que je n'ai pas eu mon billet dans les mains, je n'ai pas pu me résoudre à me mettre dans la tête que c'était effectivement le cas. Tant que je n'ai pas été assise dans cet avion, en direction d'Heathrow, je n'ai pas réussi à imaginer que j'allais réellement revoir Londres, sa grisaille morne déprimante pour certains, mais synonyme de "maison" pour moi. Mon foyer reste là-bas, quels que soient mes besoins de vadrouille intempestifs. Et quels que soient mais projets pour l'année prochaine, déjà bien orchestrés.
Là encore, à l'insu de tous.

Maman m'a prise dans ses bras avant même que je ne pose mes valises. Et c'est la main affectueuse de mon père qui s'est posée sur mon épaule avant qu'il ne s'empare du plus lourd de mes bagages pour le monter dans ma chambre. Rien n'y a bougé, quand bien même je n'y vis plus depuis des années. J'ai rendu mon appartement ici quand je suis partie en voyage humanitaire, mais cette chambre d'enfance, malgré les années, n'a jamais été vidée. J'y retrouve avec nostalgie des photos et des poupées qui datent de tellement d'années !

Home... I'm finally home.

Et même si je ne prévois pas de me réinstaller à Londres, une part de moi restera toujours attachée à cette ville, et à cette demeure. Quand bien même je voue une haine viscérale à nos voisins.

**

London, 2018, dec. 24th.

Ils vont arriver sous peu. Papa est parti les chercher à l'aéroport, et il a promis de taire ma présence. Ils auront la surprise en entrant, et je peux difficilement nier à quel point je suis surexcitée. C'est Noël, déjà, et j'ai toujours aimé cette fête plus que toutes les autres. Et puis je vais les revoir. Je vais revoir mes tous petits frère et soeur, et la mère poule que je suis n'a plus qu'une envie, les serrer dans mes bras. Même si pour mon jumeau, il va falloir que j'attende un tout petit peu plus longtemps...

Norman n'était pas mécontent de partir. Il laissait à New York quelque chose en suspend, mais il avait besoin de s'en aller un moment, retrouver ses racines et prendre un bon bol d'air frais anglais. Comme presque chaque année, il rejoignait ses parents à Londres pour les fêtes de fin d'année afin de penser à autre chose qu'à sa vie quotidienne morose et noire. Le temps de ces quelques jours, il semblait plus joyeux et plus guilleret qu'il ne l'était tout le reste de l'année. D'ailleurs, lorsque Clare et lui avait pris les billets, il avait longtemps hésité à ne prendre qu'un billet allée quitte à surprendre sa sœur sur le coup. Mais non. Il avait prit le retour, comme il était prévu. Comme Reece avait la messe à célébrer, ce dernier les rejoindrait plus tard pour pouvoir passer le nouvel an. Ils seraient presque au complet, ce que déplorait Norman. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas vu sa grande soeur Lynn, et son absence allait être fortement remarquée par lui. Lorsqu'il avait eu ses parents au téléphone et qu'ils lui avaient annoncé qu'elle ne serait pas rentrée à temps, il avait été un bon moment muet avant de reprendre la parole, après que sa mère l'ait appelé plusieurs fois pour s'assurer qu'il était encore au bout du fil. Malgré lui, il n'avait pas réussi à cacher sa déception, mais tant pis, il s'en remettra, comme à chaque fois!

Clare l'avait aidé à porter ses valises. Norman en avait pris deux, puisqu'il avait fait ses achats de noël pour tout le monde et que ça ne rentrait pas dans une seule. Il avait porté la plus grande et la plus lourde de son bras valide afin de ne pas encombrer sa sœur, le temps d'enregistrer les bagages à l'aéroport. Le voyage s'était fait calmement. Clare et lui avaient discutés de tout et de rien, et à un moment, Norman s'était même assoupi. Arrivés à Londres, il s'était réveillé brusquement, l'excitation le gagnant aussitôt. Il était sorti de l'avion avec une vivacité qu'on ne lui connaissait pas et revoir le ciel gris anglais et le paysage familier de l'aéroport de Londres avait agrandi son sourire. Pour lui, c'était un peu ça son Noël, rentrer chez lui.
Son père, en congé, se trouvait à la sortie, et Norman redevint un peu calme lorsqu'il les vit. Il avait encore les yeux qui brillaient, mais l'excitation était légèrement redescendue. Le voyage jusqu'à la maison se déroula convenablement. Norman avait passé tout le trajet à regarder le paysage défiler à la fenêtre de la voiture comme s'il découvrait pour la première fois sa ville natale tandis que son père engageait la conversation en posant les questions classiques pour s'assurer que le voyage s'était bien déroulé. Il ne réagissait que faiblement, surtout par des onomatopées plus que par de réels mots et ne fut par mécontent d'arriver enfin à la maison familiale. Il voulut mettre la main à la pâte pour aider au déchargement, mais on l'en empêcha. Pourtant, il jugeait ses parents assez vieux et il ne voulait par les fatiguer plus que cela, mais il n'arrivait pas non plus à contester leur autorité. Quand il entra dans la maison, on pouvait l'entendre continuer à insister plus ou moins concernant ses inquiétudes vis à vis de cela.
"Mais enfin, ce n'est pas sérieux, tu risques de te faire mal et..." "Norman, ce qui n'est pas sérieux c'est ta fracture au bras." "Alors là, pour le coup, ce n'est pas de ma faute et puis d'abord..."
Il s'était arrêté de parler en entendant du bruit dans la maison. Ce devait sans doute être sa mère, qui était restée là à attendre l'arrivée d'une partie de sa progéniture. Norman entreprit aussitôt de la rejoindre pour l'accueillir, mais il s'arrêta brusquement lorsqu'il s'aperçut qu'une seconde silhouette se trouvait également là.
- Lynn... laissa-t-il échapper sur un ton absent, figé sur place, pendant que son cerveau tentait de s'assurer qu'il n'était pas victime d'une hallucination.

"We wish you a merry christmas"

ft. Draven family

Aujourd’hui, vingt-quatre décembre, c’est la première fois que je retourne en Angleterre depuis mon déménagement. En même temps, c’est Noël, et il est pas question que je rate ça, même si malheureusement, la famille ne sera pas au complet cette année. Reece ne peut pas quitter sa paroisse le jour de Noël, il nous rejoindra pour Nouvel An, et Lynn est quelque part en Afrique. J’aurais bien aimée qu’elle soit là, ça fait un bail que je l’ai pas vu, mais bon. Ca attendra son retour, si elle rentre un jour. J’ai l’impression que ça fait une éternité qu’on a pas réussi à se retrouver toute la famille ensemble. En attendant, j’ai bien l’intention de profiter de mes parents, et de Norman aussi, tant qu’à faire. Même si je dois avouer qu’il me complique un peu le début du voyage, le Norman en question. Quelle idée, aussi, d’aller se fracturer l’épaule quelques jours avant Noël. Forcément, c’est moi qui suis prise pour l’aider à porter ses bagages, moi qui ai la force physique d’un moineau en papier … Heureusement pour moi, on arrive tant bien que mal à trimballer tout ça et à embarquer dans l’avion. Reste plus qu’ supporter les six heures de vol. Autant, j’aime bien voyager, dans le sens visiter de nouveaux endroits, autant j’ai horreur des longs trajets. Quel que soit le moyen de transport, d’ailleurs. Mais le papotage avec mon frère et une petite sieste ont rendus le voyage supportable.

L’arrivée sur le sol anglais m’a fait un effet étrange. Comme si j’allais avoir besoin d’un temps d’adaptation. Mais l’excitation a vite repris le dessus, et la vue de mon père qui nous attendait m’a remplie de bonheur. Après les retrouvailles, où je lui ai plus ou moins sauté dessus, on a pris la route, moi assise à l’avant, et Nono à l’arrière. Heureusement d’ailleurs, vu que j’ai passé le trajet jusqu’à la maison à faire la conversation, un peu toute seule, vu que mon cher frère n’a quasiment pas décroché un mot jusqu’à ce qu’on arrive à la maison, ou la première chose qu’il a trouvé à faire, c’est de se chicaner avec papa sur qui porterait les valises. Au moins, j’avais plus à me soucier de celles de Norman, c’était déjà ça. J’ai pris les miennes, et je les ai suivis dans la maison. J’avais hâte de pouvoir serrer ma mère dans mes bras. Elle m’a quand même sacrément manquée depuis mon départ. Départ qui avait été assez difficile d’un point de vue émotionnel, même si je savais pertinemment que j’avais pris la bonne décision. Perdue dans mes souvenirs, j’ai manqué de foncer droit dans Norman, qui avait eu la bonne idée de s’arrêter net devant moi. Qu’est-ce que tu … LYNN ?! Pas possible. Mon esprit me joue des tours ou quoi ? Non, on dirait bien que non. Mais je croyais que tu serais pas là ! Bon, Norman est toujours figé devant moi. Après l’avoir contourné, je me précipite sur ma sœur pour un câlin de la mort qui tue. Pourquoi t’as rien dit ?! J’suis trop contente, tu m’as tellement manqué !

Code by Sleepy

J'ai eu besoin de rentrer. De retrouver mon foyer. Même si ça ne sera que temporaire, même si un autre m'attend - presque - de l'autre côté de l'Atlantique. Parce que mon foyer, c'est là où se trouvent mes proches. Mes parents, d'abord, chez qui je vais passer ce Noël qui se prépare, mais aussi mes frères et soeurs. Que je vais enfin retrouver, donc, pour ces fêtes familiales par excellence. Je sais que je vais devoir attendre un peu pour retrouver mon jumeau, mais savoir que je vais pouvoir serrer ma petite soeur et mon petit frère dans mes bras, ça n'a pas de prix.

"Mais enfin, ce n'est pas sérieux, tu risques de te faire mal et..." "Norman, ce qui n'est pas sérieux c'est ta fracture au bras."
"Alors là, pour le coup, ce n'est pas de ma faute et puis d'abord..."

Le sourire qui éclaire déjà mon visage depuis que j'ai entendu le moteur de la voiture de notre père ne fait que s'agrandir quand j'entends les voix au dehors, et je ne peux pas m'empêcher d'avancer un peu, plus radieuse encore devant la mine déconfite de mon cadet.

"Lynn..."

Il a l'air paralysé, et moi, je suis presque morte de rire, alors que ma cadette manque de le percuter de plein fouet, surprise de son soudain immobilisme.

"Qu’est-ce que tu … LYNN ?! Mais je croyais que tu serais pas là !"

J'éclate de rire alors qu'elle se jette dans mes bras, et la serre sans retenue contre moi. Ma toute petite soeur. Dieu qu'elle m'a manqué, elle aussi !

"Pourquoi t’as rien dit ?! J’suis trop contente, tu m’as tellement manqué !
- Ca aurait pas été une surprise sinon ! Viens-là toi !"

A grands gestes, je fais signe à Norman de nous rejoindre. Je ne peux pas ne pas l'avoir contre moi lui aussi, pas après tant de temps passé loin d'eau, pas à présent que je les retrouve enfin. Mais sa blessure ne passe pas inaperçue, et je passe assez rapidement en mode grande soeur - même si j'étais déjà au courant par les parents, c'est différent de l'avoir en visuel direct.

"Je crois que tu as des choses à me raconter, d'ailleurs... Qu'est-ce que c'est donc que ça ?"

Je désigne évidemment son bras en écharpe, mais est-ce que la question se posait vraiment ?