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Sujet: Meghann ♆ Mar 20 Mai 2014 - 13:38
Meghann Ariel Cooper
Âge 21 ans Groupe Humains Sous-Groupe Plus ou moins partisane, elle n'a pas passé de pacte avec son démon, mais... ça n'empêche qu'elle est toute à lui... enfin au moins dans sa tête Métier Styliste (oui enfin couturière, le stade de styliste n'était pas vraiment encore à sa portée) jusqu'à peu, elle vient de reprendre des études d'Histoire Sexualité Hétérosexuelle Statut Officiellement célibataire... mais dévouée corps et âme à un certain démon Particularité A part son dévouement ? Buof... Rêve Ses lèvres sur les siennes... Peur Qu'il la rejette définitivement
Pseudo Cookie ou ECK Âge Mamie. Cherchez pas, sinon je mords. Découverte du forum Asmodée et puis Didi aussi ♥ Fréquence de connexion Disons 4 ou 5 jours sur 7... même s'il est possible que je passe tous les jours comme il est possible que je priorise parfois d'autres fo... oui j'ai un stade de schizophrénie assez avancé... (et deux nièces qui viennent de pointer le bout de leur nez, et 12.000 impératifs personnels, ahem - hyperactivité power..............) Avis Autre compte Nope Tu aimes les cookies ? *jette un oeil à son pseudo*
Décris-moi le caractère de ton personnage
Difficile de décrire la psychologie de la jeune femme en quelques mots… Quoi que le terme « obsession » prenne tout son sens assez rapidement.
Passionnée, elle va jusqu’au bout des choses, abandonnant tout le reste dès lors que quelque chose captive son attention. Comme les études, qu’elle a laissées en plan pour devenir couturière, ou, à présent, le job auquel elle avait fini par s’accommoder pour se consacrer à ses recherches sur les anges et les démons... Lorsqu’elle a quelque chose en tête, il est inutile de tenter de lui faire changer d’avis, et elle a la détermination nécessaire pour parvenir à ses fins. Ce qui ne veut pas forcément dire qu’elle déborde d’assurance, loin de là, mais elle tait ses doutes et les dissimule derrière une certaine arrogance et un tempérament pour le moins sanguin. Elle n’hésite pas à faire savoir ce qui ne lui plaît pas quand ça ne lui plaît pas, et nombre de personnes se sont laissées prendre par son minois à l’air fragile avant de déchanter lorsque la belle a fini par s’emporter...
Car en effet, irritable et peu sociable, Meghann a tendance à s’isoler au maximum, à ne garder de contacts humains que lorsque c’est nécessaire. Et ceux qui tentent d’y contrevenir le font à leurs risques et périls, car, véritable tigresse, elle ne supporte pas qu’on vienne l’importuner. Il faut dire qu’elle a longtemps été le vilain petit canard raillé de tous, et que la confiance ne fait pas vraiment partie de ce qu’elle accorde en premier lieu. Elle est donc particulièrement méfiante des gens qu’elle ne connaît pas, ce qui ne l’empêche pas d’entrer en contact avec ceux qui pourraient lui être utiles. Tout est question de sujet de conversation et d’attitude. Tant que l’on reste dans le domaine du courtois, du correct, elle fait bonne figure, en général parce qu’elle attend quelque chose en retour, mais le moindre écart la fait bondir, et ne parlons même pas du contact physique qu’elle repousse dans la seconde... Et très rancunière, elle n’oublie jamais ou presque un affront, qu’elle compte bien faire payer un jour. On dit bien que la vengeance est un plat qui se mange froid, n’est-ce pas ?
Si elle montre parfois une certaine joie de vivre, il est évident qu’elle n’est pas aussi expansive que sa sœur, pas aussi communicative, et elle est d’ailleurs jalouse de cela (comme de bien d’autres éléments du physique et de la personnalité de la benjamine par ailleurs). La fraîcheur dans le regard, l’insouciance, ce sont des choses qu’elle ne connaît pas vraiment, et si elle a parfois l’air absent, c’est bien souvent parce qu’elle se remémore quelque chose qui lui sera utile dans la minute qui suit, certainement pas pour revisiter quelque souvenir nostalgique. Car à vrai dire, elle ne garde pas vraiment de souvenir agréable de son enfance, et évite donc au maximum les séquences de flashbacks.
La jalousie est sans doute son plus gros défaut, et elle est due au fait qu’elle souffre d’un certain complexe d’infériorité qu’elle cherche à compenser en quelque sorte en écrasant les autres. C’est ce qui fait qu’elle se montre méprisante envers sa petite soeur, hautaine avec les autres, inaccessible. Pourtant, au fond, elle aurait aimé être plus proche d’elle, avoir vraiment le rôle d’une grande sœur. Sauf qu’il y avait déjà les jumelles dans le rôle des confidentes et que la comparaison a vite remplacé l’affection sororale par une rivalité dévorante...
A comme "Allergique". Meg est allergique à tout type de noix, noisettes, noix de pécan, amandes, etc. C'est pourquoi elle a toujours une seringue et un flacon d'adrénaline sur elle, au cas où.
B comme "Bornée". Un peu. Bon, si on finit par lui prouver qu'elle a tort, elle va peut-être finir par comprendre. Mais n'empêche que quand elle pense avoir raison, il faut se lever tôt pour lui démontrer que non, que ses idées sont fausses... Une vraie bourrique...
C comme "Cicatrice". Celle qu'il lui reste de sa première rencontre avec Asmodée, même si elle regorge de "trucs" pour la faire disparaître aux yeux des autres.
D comme "Déterminée". Une fois qu'elle a une idée en tête, difficile de lui faire changer d'avis. Tous les arguments même les plus justifiés n'y changent rien, elle a son avis et personne ne parviendra à lui faire dire le contraire.
E comme "Excentrique". Elle ne fait rien comme les autres, paraît-il. Elle n'a pourtant pas l'impression d'être si bizarre que ça, même si elle s'habille souvent à sa manière, se maquille aussi de façon un peu originale, ou n'a pas vraiment les mêmes objectifs que les autres... Bon d'accord, elle est peut-être un peu étrange, à bien y réfléchir.
F comme "Frigide". Ou au moins est-ce ce que les autres disent d'elle, puisqu'elle ne supporte le contact de personne. A part le sien...
H comme "Hyperactive". Le pendant de son impatience, sans doute... elle ne peut tout simplement pas rester en place. Elle a toujours quelque chose à faire, dix mille projets en tête.
I comme "Impatiente". Les années qu'elle a passées au lycée pour faire plaisir à ses parents alors qu'elle ne rêvait que d'un cursus de création lui ont semblé interminables, les opéras ou les pièces où les décors et les costumes sont insipides également, et pire encore, devoir patienter pour un rendez-vous quelconque l'insupporte particulièrement... En général, elle lâche l'affaire au bout d'une demi-heure grand maximum, comme l'ennui la gagne de façon démesurée...
J comme "Jalouse". Elle est particulièrement possessive envers celui qui la tient sous son emprise depuis qu'elle l'a rencontré et aura bien du mal à accepter qu'il séduise d'autres femmes, surnaturelles ou non. Globalement, elle est de toute façon assez envieuse de beaucoup de choses et de beaucoup de gens qui possèdent ce qu'elle n'a pas...
L comme "Liée". A Asmodée, indéfectiblement. Il fera ce qu'il veut d'elle, quoi qu'il choisisse, car elle ne peut tout simplement pas se passer de son aura, de sa voix, de son regard...
M comme "Maniaque". De par son allergie, elle porte une attention extrême à tout ce qu'elle touche ou ingurgite, de peur de faire une crise par manque de précaution.
N comme "Nageuse". Le seul sport qu'elle ait jamais apprécié, c'est la natation. Et elle tente encore de s'y adonner aussi souvent que possible, bien que ce ne soit pas très évident à présent...
O comme "Obsédée". Par la mode, par la mer... et par lui, particulièrement.
P comme "Passionnée". Par ses créations, principalement, et elle a bien du mal à supporter la critique. C'est inscrit dans son caractère, dans ses gènes. D'un autre côté, c'est aussi ce qui lui permet de se donner à fond dans ce qu'elle entreprend, d'aller au bout des choses avec un brin de perfectionnisme lorsqu'il s'agit de... sa passion, justement. Et sans doute qu'il en est de même pour ses sentiments...
R comme "Rebelle". Meg a beaucoup de mal avec l'autorité et les règles établies. Elle est suffisamment intelligente pour savoir quand il vaut mieux qu'elle garde ses pensées pour elle, mais ronge son frein en silence, détestant particulièrement qu'on lui donne des ordres.
S comme "Styliste". Elle a un don certain pour la mode, le stylisme. La couture, la création de bijoux et de chaussures n'ont aucun secret pour elle, bien qu'elle doute fortement de pouvoir jamais ouvrir sa propre marque. Elle a toujours son carnet et son crayon sur elle, prêts à l'emploi.
T comme "Tatouée". Une coquille renfermant une perle entourée de fioritures tribales au bas de son dos, au creux de ses reins. Et une vague enroulée, sur la cheville droite.
V comme "Vaillante". Elle ne dirait pas qu'elle est courageuse. Elle est bien trop consciente de sa faible constitution et de toutes les choses qu'elle n'a pas faites par peur des conséquences. Mais il n'empêche qu'il y a une forme de vaillance chez elle, qui fait qu'elle ne se laisse pas abattre, malgré les écueils, et qui va peut-être aussi avec sa détermination et son entêtement. Il y a des causes qu'elle reste prête à défendre, coûte que coûte, quitte à se brûler les ailes...
W comme "White Pearl, Black Ocean". Sa marque entre guillemets. Celle qu'elle aurait créée, si elle avait pu. Elle n'en aura peut-être jamais l'occasion, à présent..
Dernière édition par Aaron Greystoke le Mar 1 Mai 2018 - 8:56, édité 3 fois
Nathanael Keynes
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Sujet: Re: Meghann ♆ Mer 21 Mai 2014 - 19:05
Meghann Ariel Cooper
(let's take a shortcut... well... sort of...)
Apprends-moi son histoire - part I
~ Act I ~ Fly with the black swan
Meghann est née il y a vingt-et-un an, dans une famille sans grande histoire, comme il en existe beaucoup d’autres de par le monde. Première née des quatre enfants, elle n’aime guère évoquer son enfance, pas plus que son adolescence. Une confortable maison dans les Hamptons, révélatrice d'un niveau de vie assez élevé, un père très présent, bien davantage que leur mère, trop souvent en déplacement, et bientôt, deux sœurs jumelles, puis une petite dernière... Rien de réellement fabuleux que le début de son histoire, même si leur situation n'est clairement pas à plaindre. De la naissance des jumelles, elle n’a aucun souvenir, trop jeune à l’époque pour comprendre et imprimer ce qui arrivait. De celle de sa dernière sœur, elle ne garde qu’une impression floue d’interdit : c’était la petite dernière, surprotégée, elle avait à peine le droit de la regarder. Croyait-on qu’elle allait lui faire du mal ? A l’époque, elle n’avait encore aucun grief à l’encontre de ce bébé… Ses parents n’allaient que précipiter les choses, à lui interdire presque de l’approcher… Elle avait voulu être la grande sœur modèle, au départ. Et pendant les premières années, comme tout ce qui touche à la nouveauté, ça avait été son petit plaisir que de s’occuper du bébé, d’être la grande. Même si les seules tâches qu’on lui octroyait consistaient en lui ramasser sa tétine, ou aller chercher le bavoir ou la boîte de lingettes... Bien vite pourtant, trop vite, au goût de l’aînée, être la plus grande devint un fardeau. « Non, tu ne pleures pas, tu es une grande fille maintenant, ça n’est plus de ton âge ces enfantillages ». « Non, ce manège-là, ce jouet-là, c’est pour les petits ». « Tu vois bien que je suis occupé avec la petite ? » « A ton âge, tu peux te débrouiller toute seule ». « Sois une gentille fille, n’embête pas maman pendant qu’elle donne le biberon à Amy... » Des phrases que tous les parents ont dit un jour à leurs enfants, sans imaginer les répercussions qu’elles pourraient avoir, bien des années plus tard.
Elle, elle était celle qu'on oublie un peu, qui lit dans un coin, en regardant les plus jeunes jouer, dans leur grand jardin. En été, tout du moins, puisque dès l'automne, ils regagnaient Manhattan, ce dont elle se passait plutôt bien, au fond, mais ça n'était pas comme si elles avaient vraiment le choix. Elle a toujours été plus proche de son père, qui tentait, lui au moins, de ne pas faire de différence entre ses quatre filles. Même elle, qui n'était jamais rentrée dans un moule, il lui témoignait de l'affection. Ce qui n'était pas forcément le cas de leur mère. A chaque fois qu'elle revenait, Meghann en prenait plein la tronche. Amanda était sa préférée, c'était indéniable, il n'y en avait que pour elle... Et l'aînée, qui partageait sa chambre, en avait plus que ras-le-bol d'entendre ces comparaisons toujours désobligeantes envers elle. Elle était sociable, elle. Elle était joyeuse, elle. Et serviable. Et moi, ne cessait de penser la plus grande, je suis quoi, hein ? D'accord, elle n'allait pas vers les autres, et elle traînait souvent cet air neutre, mélancolique. Mais la faute à qui ? Ca n'était pas comme si elle était si rebelle, non plus, elle ne disait jamais rien, faisait ce qu'on lui disait. Elle bossait même à l'école, alors que ça ne l'intéressait pas du tout.
Elle, elle aimait dessiner et coudre. La mode, ça a toujours été son truc, depuis toute toute petite. Dès qu'elle pouvait, elle s'isolait dans sa chambre et passait plusieurs heures à dessiner. Mais dès que Maman était là, il fallait qu’elle évite, qu'elle ne la voie pas faire, parce que ça partait toujours en grande explication de pourquoi ça ne servait à rien, et qu'elle avait mieux à faire que de perdre son temps à ça... Alors elle en profitait tant qu’elle pouvait, tant qu'elle était en déplacement. Et elle attendait chaque fois avec impatience le prochain vol qui l’emmènerait elle ne savait trop où encore.
Et puis lorsqu'elle craquait, la seule chose qui la calmait, qui l'apaisait, c'était la mer. Elle a toujours aimé ça, le bruit des vagues, l'odeur de l'iode, et le calme, aussi, lorsqu'elle avait la tête sous l'eau. Elle oubliait tout, et le monde en général. Combien de fois s'était-elle sauvée de la maison après une dispute, pour aller courir jusqu'à la mer, et s'y plonger, restant sous l'eau jusqu'à ce qu'elle n'ait plus d'autre choix que de reprendre de l'air à la surface ? Un vrai petit poisson, disait sa mère - la seule fierté qu'elle semblait lui procurer. C'était la seule activité sportive qu'elle acceptait. Elle n'aimait pas spécialement le sport, généralement, mais elle pouvait aller nager et y rester des heures et des heures.
Même quand il faisait plus frais, trop frais pour aller se baigner, combien de fois l'avait-on retrouvée à marcher les pieds dans l'eau, ses chaussures à la main ? C'était son moyen de se rasséréner, et vu comme ça se passait la plupart du temps, elle avait bien besoin de quelque chose de calmant... Alors forcément, revenir en ville, c'était particulièrement difficile, et chaque fois qu'ils quittaient les Hamptons, elle était réellement malheureuse, même si elle n'en disait jamais rien, puisque ça n'était pas à elle d'en décider.
Au final, des jeux avec ses sœurs, elle ne garde que l’impression de les avoir vues s'amuser entre elles, d’être restée à l’écart. Dans ses souvenirs, Maman n’était que peu souvent là, elle était retournée à ses avions, à ses voyages, et ça lui allait bien comme ça, et Papa passait son temps dans son bureau, occupé à écrire ses articles pour son prestigieux journal. Et quand au gré de ses allers et retours, entre deux avions, Maman revenait à la maison, il n’y en avait que pour Amanda, la petite fille si pleine de vie sur laquelle elle aurait dû prendre exemple. Et pourquoi ne passait-elle pas plus de temps avec la petite dernière ? Aussi loin qu’elle se souvienne, elle n’a jamais vraiment eu de bon rapport avec elle, et n’a à ce jour aucun véritablement bon souvenir avec elle. Même lorsqu’elles ont dû partager la même chambre lorsque la famille revenait au cœur de New York pour les périodes scolaires, les relations entre les deux jeunes filles n'ont jamais été au beau fixe. Que ce soit l'appartement de Manhattan, ou la maison des Hamptons, rien n'y faisait.
Oh certes, on reprochait parfois à sa petite sœur de n’en faire pas davantage à l’école où elle se contentait de vivoter, mais c’était manifestement bénin. L’aînée, elle, se devait d’être irréprochable, semblait-il. On interrogerait leurs parents, sans doute se récrieraient-ils d’avoir jamais fait tant de différence entre leurs différentes filles, pourtant, c’est ainsi que la plus grande l’a ressenti. Une note moyenne, et les sanctions tombaient. Non pas privée de sortie avec les copines, ils savaient bien que ça ne servirait à rien, tant l’adolescente était réservée et peu sociable, mais privée de tout ce qui lui tenait déjà à cœur, à savoir la mode... Finies dans ce cas les retransmissions de défilés, finis les essayages de maquillage, finies les heures de couture pour confectionner des robes aux poupées... Tout était mis sous clef. Alors pas question. Et c’était effectivement là ce qui lui importait le plus, et depuis toute petite déjà. Quand Amy jouait au papa et à la maman avec ses poupées, Meg laissait toujours les siennes bien sagement alignées sur la commode. Mais loin de les négliger, elle en prenait au contraire le plus grand soin et les paraît de tenues plus excentriques les unes que les autres. La première fois que maman l’avait vue couper les cheveux de l’une d’elle, elle s’était affolée, comme si elle avait pu faire du mal à un jouet. Pourtant, quand elle avait vu le résultat auquel elle était parvenue en cachette, elle n’avait plus rien dit. Ni au sujet des coupes, ni au sujet de la peinture dont elle ornait leurs visages synthétiques. « On dirait les mannequins des défilés », avait soufflé une tante éloignée, une fois. Et c’était vrai. Dès qu’elle pouvait voir un défilé, ses poupées en semblaient tout droit sorties, quelques jours après.
Et elle ne supportait pas qu'on y touche, évidemment. Au fond, elle ne pouvait pas dire qu'Amanda eût forcément été peu soigneuse si elle lui avait permis d'en prendre une dans les mains, mais il y avait sans doute trop de rancœur, à force. Le jour où Amy avait voulu en attraper une, Meg avait vu rouge, et élevé la voix. Et leur mère n'avait pas apprécié du tout. S'en était suivi une énième punition pour l'aînée, qui, pour une fois, avait osé dire ce qu'elle pensait. Papa avait tenté de venir la voir pourtant, de comprendre ce qu'il se passait, et surtout pourquoi les relations entre sa petite sœur et elle avaient tellement tourné au vinaigre, mais il ne se rendait pas compte, au fond, que c'était aussi de leur faute, et elle n'avait pas réussi à le lui exprimer. Il était le seul qui essayait un peu de la comprendre, et elle craignait que si elle lui faisait des reproches, elle puisse perdre son seul soutien. Pourtant, si elle avait accepté de le voir, elle aurait pu se rendre compte, à ce moment-là, que tout ce qu'Amy cherchait, finalement, c'était à se rapprocher d'elle. Et puisque s'approcher de ses poupées causait des problèmes, elle avait même promis, en venant se coucher ce soir-là, qu'elle n'y toucherait plus jamais. Meg n'était simplement pas en état, alors, d'accepter cette idée.
La benjamine avait tenu parole, pourtant. Même si Meghann n’avait jamais été expansive avec elle, même si elle n’arrivait pas à la croire quand elle disait qu’elle ne voulait pas, elle, que leurs parents la disputent tout le temps, l’adolescente ne pouvait pas ne pas voir, à force, les efforts de la petite dernière pour arrondir les angles. L’admettre et aller vers elle, c’était un cap qu’elle ne pouvait pas franchir, cependant, et malheureusement pour les deux sœurs, leur entourage ne semblait pas comprendre ce qui faisait tant souffrir l’aînée de la famille. Ainsi, si elle n’a rien dit, pendant toutes ces années où on encensait la vivacité de la blondinette, ses sourires lumineux, son entrain, elle ne pouvait nier son ressentiment à ce sujet, qui les éloignait toujours un peu plus alors qu’en définitive, elles s’admiraient mutuellement. C’était triste à dire, mais il semblait qu’un gouffre s’était creusé entre les filles Cooper, que rien ne semblait vouloir combler. Et personne n’avait jamais vraiment cherché à les y aider. Car Papa attendait sans doute à présent qu’elle fasse le premier pas, qu’elle vienne vers lui, ce dont elle se savait parfaitement incapable : il ne reconnaîtrait pas la différence qu’il faisait avec Amy, plus ou moins volontairement, et lui au moins, il ne l’ignorait pas totalement. Elle n’avait pas la force de se disputer avec lui, sa seule bouée de sauvetage en quelque sorte.
Pourtant, ça allait finir par arriver.
Parce que quand il a fallu choisir le cursus scolaire, les options à suivre, les écoles auxquelles elle pourrait prétendre, ça a été une nouvelle discussion houleuse. Et son père n'était pas vraiment de son côté. Evidemment, la couture, ça n'était pas un métier assez noble. Et comme elle ne voulait même pas continuer un cursus classique mais intégrer une formation professionnelle alternative, ça ne pouvait pas passer. Il fallait évidemment qu'elle ait son diplôme, comme il se doit. Sauf qu'elle n'était pas d'accord, et que c'est vers son père, évidemment, qu'elle s'était tournée.
« Même toi, tu comprends pas ? Je veux pas passer des années sur un banc d’école pour faire un truc qui me plaît pas. J’ai tout le temps fait des efforts pour vous faire plaisir, pour une fois, j’aurais voulu que vous écoutiez un peu ce que j’ai à dire. »
Elle avait quitté la pièce en trombe, et s’était enfermée dans la chambre qu’elle partageait toujours avec Amy, refusant de laisser qui que ce soit entrer. Pas même l’autre occupante de la pièce, pas même son père. Elle n’aurait pas cru que cela fût si étonnant lorsqu’elle avait annoncé qu’elle voulait être coiffeuse, maquilleuse ou couturière. Ils avaient mis ça sur le compte d’une lubie d’adolescente, et tenaient à ce qu’elle fasse des études bien comme il faut. Elle n’en voulait pas, de leurs études, si ça n’avait tenu qu’à elle, elle aurait déjà arrêté. Mais non. Ils l’avaient déjà inscrite au lycée, et elle allait devoir continuer jusqu’à dix-huit ans maintenant, parce qu’elle savait bien ce qui se passerait si elle refusait : exit tout ce qui l’intéressait.
« C’est du chantage ! » avait-elle fini par hurler à travers la porte. « Je vais les faire vos études à la noix, j’ai pas le choix. Mais à dix-huit ans, je ferai ce que je veux ! »
De nature discrète – par peur des moqueries des autres essentiellement – elle n’était pas du genre à se mettre en avant, d’habitude, et pourtant, cette fois-là, elle s’était élevée contre l’autorité, et celle de son père, surtout. Il ne lui avait pas adressé la parole pendant des semaines, et elle en avait été profondément blessée. C’était la première fois qu’elle se disputait avec lui, et c’était aussi la première fois qu’elle avait fait comme il le lui avait demandé : venir le voir quand quelque chose n’allait pas. Sauf que ça n’avait manifestement mené à rien. Mieux valait donc qu’elle ne dise rien, et elle prit le parti de s’enfermer dans un mutisme imperturbable pendant les années qui suivirent, jusqu’à l’obtention de ce diplôme qu’ils avaient absolument voulu qu’elle passe et dont elle n’avait, elle, absolument rien à faire. Ses camarades de classe la décriraient comme effacée, sans doute complexée, sans doute peu confiante en elle. Sans doute. Ils n’en seraient pas vraiment sûrs, parce qu’ils ne s’étaient jamais vraiment intéressés à qui elle était, à vrai dire. Et elle n’allait certainement pas, elle, faire le premier pas.
Apprends-moi son histoire - part II
~ Act II ~ I want out ! To do things on my own...
Elle avait préparé la rentrée comme si ça avait été tout naturel pour elle d’entrer au lycée, alors que ça n’était pas le cas du tout. Et elle allait faire de même chaque année, jusqu’à ce que le calvaire soit terminé. Ils voulaient qu’elle soit une gentille petite fille bien sage, c’était ce qu’elle allait être, parce qu’elle n’avait pas le choix, parce qu’elle ne voulait pas perdre ce qu’elle chérissait. Mais elle rongeait son frein, attendant le jour de ses dix-huit ans où – elle l’avait dit, elle s’y tiendrait – elle ferait ce qu’elle voulait. Et elle était descendue de la voiture sans un mot pour le premier jour dans cette nouvelle école. Une nouvelle jungle pour elle, dont la silhouette n’avait de cesse de s’allonger, lui faisant redouter chaque jour davantage les railleries de ses camarades sur sa taille un peu trop grande, ses jambes de bécasse ou son air de grande asperge trop maigre. Tout ce qui fallait pour ne pas l’aider à décomplexer sur son physique qu’elle avait de plus en plus de mal à accepter, qu’elle comparait toujours davantage à celui de sa plus jeune sœur, plus menue, jolie comme un cœur, et sur qui les garçons commençaient - déjà - à se retourner. Elle, elle était trop maigre, trop fine, et trop fermée, aussi... Et puis ses cheveux rouges - elle avait décidé d'en rajouter à sa rousseur naturelle, tant qu'à n'être pas comme les autres - n'aidaient pas forcément, pourtant c'était sans doute ce qu'elle préférait chez elle.
« T’as vu la girafe rouge là ? » entendait-elle murmurer sur son passage, et elle en avait particulièrement honte.
C'était faux, en plus, des plus grandes, il y en avait... Mais elle était sans doute trop squelettique aussi... Elle avait grandi trop vite, et elle était trop maigre, et elle avait cette tignasse trop voyante. Elle n’était pas trop habituée à leur quartier, ayant grandi presque recluse dans les Hamptons, et même ici, en ville, peu habituée à fréquenter les autres, elle donnait toujours l'impression d'être l'étrangère. Et puis elle collait des perles partout sur ses cahiers, son sac, ses crayons - c'était quoi cette drôle de lubie ? Elle dessinait en cours, enregistrait les informations écrites, mais ne se concentrait pas sur ce qu’on lui disait. Elle faisait ce qu’on lui demandait, mais n’allait pas vers les autres, et rapidement, de toute façon, ce furent eux qui vinrent plutôt la houspiller, ce qui ne l’aida pas à faire réellement connaissance avec qui que ce soit. Elle ne disait rien, malgré les railleries, malgré les bousculades parfois, jetant seulement un regard noir en biais à l’auteur de cette mauvaise blague, et attendait avec impatience la fin des cours. Bientôt, se disait-elle. Bientôt, elle ferait ce qu’elle voulait, et sa réussite vengerait tout ça. Et elle attendait. Même si la patience n’était pas sa principale qualité, savoir ce qu’elle devait sacrifier pour atteindre son objectif lui permettait de rester calme, au moins en apparence. Car dans ses cahiers, dans son journal intime, les noms de ses camarades de classe se succédaient, et des gribouillages sombres les représentant dans des scènes sanglantes où ils avaient manifestement souffert les emplissaient, page après page, morbide exutoire à leurs quolibets.
Il paraît que chacun a son heure de gloire, à un moment ou à un autre. Pour Meg, ça n’était certainement pas au lycée. Pourtant, il y eut plusieurs fois des photographes ou des agences de mannequins qui la sollicitèrent pour poser, à cette époque. Mais elle déclinait, refusant de s’imaginer, elle, sous les feux des projecteurs, rejetant trop son physique pour l’exposer ainsi. Il y avait des filles plus grandes, mieux proportionnées, plus jolies aussi, de toute façon, c'étaient à elle de déambuler sur les rampes. Et puis, elle ne voulait pas être de ce côté-là du podium, elle voulait travailler derrière le rideau. Quoi que ces offres, et les regards qui changeaient, commençassent à l’intriguer et à amener une lumière nouvelle sur son corps qu’elle avait eu bien du mal à accepter jusque-là, et qu’elle n’acceptait pas encore vraiment, pas encore totalement. Pour l’instant, il fallait qu’elle tienne le coup, qu’elle obtienne ce diplôme censé lui permettre d’aller vers l’apprentissage d’un vrai métier. Un vrai métier. Ils en avaient de bonnes, tiens ! Styliste, ça n’était pas un vrai métier ? Elle s’était juré de leur prouver le contraire.
Et comme si ça avait été la délivrance, lorsqu’elle obtint son diplôme à la sortie du lycée, ce fut la transformation. Autant physique que psychologique. Elle l’avait pourtant obtenu sans grand éclat, ce diplôme, mais sans grande gamelle non plus. La belle affaire, d’ailleurs, pour ce que ça allait lui servir ! Parce que son diplôme en poche et sa majorité obtenue, elle avait décidé de se consacrer à ce qu’elle voulait vraiment faire, elle l’avait dit, quelques années auparavant, et s’il y avait bien une chose sur laquelle on pouvait lui faire confiance, c’était pour tenir sa parole. Elle avait fait ce qui fallait pour qu’on la laisse tranquille, et qu’on lui laisse ses créations surtout, et elle comptait bien s’y adonner à fond à présent.
Ca avait été bizarre de voir ses trois sœurs dans la chambre qu'elle partageait avec la benjamine, commenter son départ tout proche, son choix de cursus. Bethanny avait répondu au téléphone quand ils lui avaient confirmé qu'elle était retenue, pour un petit poste dans une boîte qui avait quelque renom, sans être non plus LA marque que tout le monde retenait. Elle avait vu de l'inquiétude dans le regard de la petite dernière, mais ne l'avait pas trop comprise. Depuis quand se souciait-elle de ce qui lui arrivait ? Les jumelles restaient manifestement sceptiques, elles aussi, sur ce qu'elle voulait faire, mais rien de ce que ses trois frangines pouvaient dire ne parvenait entamer sa détermination, et elle avait même préparé sa valise, certaine que ses parents la foutraient dehors. Elle s'en fichait, elle avait relevé des annonces, pour le cas où les patrons de Goldenmeyer reviendraient sur ce qu'ils lui avaient promis, à savoir un de ces petits studios qu'ils mettaient à disposition pour certains de leurs employés. Elle était prête à descendre quand la voix d'Amy avait retenti.
« Elles sont magnifiques tes créations Meg. Trop bizarres pour la plupart des gens, mais magnifiques. Et elles te vont super bien. Je croise les doigts. »
Elle s'était retrouvée comme un andouille, à pas savoir quoi dire. Et elle était entrée dans l'arène, presque littéralement, affichant une assurance qu'elle n'était pas certaine de vraiment posséder. Quand elle avait annoncé son projet, manifestant clairement que rien ne l'arrêterait, elle s'était attendu à tout sauf à ça. Après quelques heurts - parce qu'elle avait des capacités et qu'elle n'allait, donc, pas les gâcher comme ça, voyons, et puis elle n'avait pas encore tout à fait dix-huit ans, à quelques jours près, et tant qu'elle vivrait sous leur toit, ça n'était pas à elle de décider - auxquels elle avait répondu relativement calmement mais fermement qu'elle avait déjà annoncé il y a quelques années qu'elle arrêterait après son diplôme, que son contrat commençait le lendemain de son anniversaire et que s'il fallait qu'elle parte, elle partirait, elle a été surprise d'entendre la voix de son père, l'air amusé, soulever qu'il avait déjà vu ce regard quelque part. C'était la première fois qu'on relevait quelque chose qui pouvait la rapprocher de sa mère, et elle était, une fois de plus, restée abasourdie. Plus encore quand celle-ci avait jeté l'éponge, évoquant le fait que si elles étaient réellement semblables, Meg aurait déjà envisagé tous les cas de figure possibles, et n'entendrait pas raison. Ce qui était effectivement le cas.
Et de façon absolument pas naturelle pour elle, le sujet avait été clos, et papa l'avait interrogée sur ce qu'elle voulait comme cadeau d'anniversaire. Un tatouage n'avait pas trop été la réponse attendue, pourtant là encore, elle n'en avait pas démordu. Et elle l'avait eu, son tatouage. Enfin ses tatouages, au creux des reins et sur la cheville, des pièces évoquant la mer qu'elle chérissait et qui renvoyaient aussi à son projet sur un plus long terme, mais qu'elle n'avait évoqué avec personne, jusque-là.
Ca lui avait fait un mal de chien, cela dit, et elle avait craint que l'allure finale ne soit pas à la hauteur de ses attentes. Mais quand ça avait cicatrisé, que ça avait finalement fort heureusement donné le résultat escompté, ce fut au niveau du travail qu’elle commença à déchanter. Parce que s’il lui avait semblé évident qu’elle commencerait par des petites tâches, des retouches, des finitions peut-être, elle commençait à douter de la sincérité de Mr Goldenmeyer quand il lui assurait que lui aussi avait commencé en bas de l’échelle avant de gravir un à un les échelons jusqu’à pouvoir monter sa propre boîte. Ou plus exactement, elle commençait à douter du rythme auquel elle pourrait gravir ces mêmes échelons. Et elle n’avait pas vraiment l’intention d’attendre le troisième âge pour imposer son style et ses idées en matière de mode.
C’était en discutant avec l’autre retoucheuse qu’elle avait commencé à avoir des doutes. Cendryne, que tout le monde appelait Cindy, surnom que Meg trouvait bien moins charmant que le prénom réel de la jeune femme, était là depuis trois ans, à la même place, et si elle avait de prime abord douté du talent de sa collègue pour qu’elle n’évoluât pas ainsi en tant de temps, elle avait vite appris à reconnaître son travail. Elle était douée, elle aussi. Très douée. Elle avait presque redouté la comparaison, au départ. Mais Cendryne manquait cruellement de confiance en elle, et ça expliquait peut-être qu’elle n’eût pas rué dans les brancards à force de n’être assignée qu’aux petites finitions. Toujours était-il que si la brune n’avait pas évolué, il y avait peu de chance pour que ce soit différent pour elle. Sauf qu’elle ne comptait pas se laisser faire.
Elles en avaient eues un paquet, des conversations où Meg s'étonnait du manque d'ambition de Cendryne... Jusqu'au jour où elle l'avait vue récupérer son fils, un petit bout d'homme nommé Floriant, que la soeur de sa collègue gardait en journée.
« Son père m’a gentiment expliqué qu’il n’avait pas la fibre paternelle en me claquant la porte au nez quand il a appris que j’étais enceinte. Alors je me débrouille. Ma soeur me le garde en journée, comme elle travaille de nuit. Les autres le savent, au boulot, j’ai pas eu le choix quand je n’ai plus pu le camoufler, mais ils font semblant de rien, et de toute façon, on m’a clairement fait comprendre qu’il était hors de question que ma situation ‘m’avantage’. La dernière fois que j’ai demandé une journée parce qu’il était malade, Mr Goldenmeyer m’a fait remarquer que j’avais déjà eu des congés pendant ma grossesse, bien assez longs comme ça, que ça ne devait pas se reproduire trop souvent. Tu sais comme il est, tu vois bien ce que ça veut dire. Je sais que du jour au lendemain, je peux être remplacée. Si je m’absente, il trouvera quelqu’un d’autre. J’ai bien cru que c’était le cas quand t’es arrivée. »
Meg n’avait plus osé aborder le sujet de l’ambition, sachant qu’elles n’auraient de toute façon pas les mêmes objectifs. Pourtant, Cendryne avait remis le sujet sur le tapis, régulièrement, visiblement curieuse des plans de sa jeune camarade, et presque trop enthousiaste parfois, comme si elle vivait ce qu’elle n’avait pas pu vivre par procuration.
« Je suis sûre que tu y arriveras, Meg. T’as le talent et le caractère pour. Laisse seulement jamais un mec prendre le dessus sur toi. Ca ruine tout. »
Elle ne pensait certainement pas être si prémonitoire...
Dernière édition par Aaron Greystoke le Mar 11 Nov 2014 - 16:47, édité 2 fois
Nathanael Keynes
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Sujet: Re: Meghann ♆ Mer 21 Mai 2014 - 19:11
Meghann Ariel Cooper
(let's take a shortcut... well... sort of...)
Apprends-moi son histoire - part II
~ Act III ~ My skin still burns at all the places you've touched
Trois ans. Trois ans qu’elle était assignée aux ourlets, aux petites retouches, parfois – exploit – à la finition pour broder quelques perles, quelques sequins, par ci par là, sur le dernier modèle. Parfois. Trois ans qu’elle voyait pousser le petit bout d’homme que devenait Floriant, qu’elle avait appris qu’il faisait ses dents, qu’il commençait à marcher, elle avait eu le détail des premiers mots, des premières bosses aussi, à force qu’il aille tout explorer… Et elle revoyait invariablement les premières fois d’Amy, avec un pincement au cœur, à chaque fois que sa collègue lui racontait une nouvelle anecdote. Amy qui entrait à la fac à présent et qu'elle n'avait, finalement, pas vraiment vue grandir. Elle n'était pourtant pas tellement plus âgée que la petite dernière, pourquoi se souvenait-elle aussi clairement de tout ça ?
Trois ans que Cendryne l’encourageait, qu’elles discutaient ensemble des nouvelles idées de Meghann, qu’elles échangeaient leurs points de vue, pour le jour où ça marcherait vraiment. Trois ans que la jeune maman lui soufflait de ne pas porter ses créations au travail, de peur qu’ils lui piquent ses idées.
« Il faudra des noms à tes collections, Meg. T’as des idées ? Je suppose que ça serait pas mal de centrer d’une manière ou d’une autre sur la mer que tu évoques partout... - White Pearl, Black Ocean. WPBO. - Pour la marque ? »
Meg avait simplement hoché la tête, et Cindy avait souri. Elle n’en attendait pas moins de sa camarade à vrai dire : elle avait de la suite dans les idées, et il était clair que son cerveau fonctionnait sans cesse, élaborant les futurs plans de sa propre ligne de couture. Pour la rousse, il était tout aussi évident que le jour où elle arriverait à ses fins, Cindy serait à ses côtés. Elle n’avait pas vraiment eu d’ami jusque-là, et Cendryne était sans doute ce qui s’en rapprochait le plus. Et elle n’imaginait même pas ce que ce serait, sans ses commentaires. Elle lui sortait d’ailleurs un petit carnet qu’elle avait toujours sur elle, et lui désigna un petit croquis, reprenant en partie ses tatouages : une coquille contenant une perle, encerclée d'une vague enroulée.
« White Pearl, Black Ocean », avait répété la jeune femme, « il faudra que je trouve des noms pour chaque modèle par contre, mais mon père m’a emmené voir une pièce l’autre jour, je pensais pas que je pourrais trouver des trucs intéressants chez Shakespeare. »
Une fois encore, Cendryne avait souri, puis posé un doigt sur ses lèvres, comme on commençait à les surveiller.
Le père de Meghann avait écopé – officiellement – de la rubrique arts et culture. Au départ, il y allait un peu à reculons, pas très enclin à critiquer des œuvres qu’il ne connaissait pas forcément, et sur des points de vue qu’il n’avait pas forcément. La première fois, il avait axé son article presque entièrement sur le jeu des acteurs et le travail de mise en scène, et on lui avait reproché de ne pas évoquer du tout les costumes et décors, pourtant essentiels à l’appréhension de la pièce et de l’ambiance générale. Il en avait vaguement parlé un soir au dîner, et Meg, qui avait choisi finalement de rester encore quelques temps sous leur toit et d'économiser pour pouvoir monter son entreprise, avait levé les yeux de son plat, qu’elle mangeait en silence, comme bien souvent. Elle lui avait demandé des descriptions, froncé les sourcils un certain nombre de fois, une moue boudeuse avait déformé ses traits une fois ou deux.
« C’était quoi le principe de la pièce ? » lui avait-elle demandé, n’y connaissant pas grand chose à vrai dire.
Mais ce sur quoi elle avait au moins un bon ressenti, c'était sur les costumes, et elle visualisait assez bien ce que son père lui décrivait. Pendant quelques instants, à mesure que son père répondait à sa question, Meg était restée songeuse. Et puis elle lui avait donné son avis. Il y avait de bonnes idées, à son sens. On faisait bien la distinction avec l’ersatz de Widgery Report figuré par les saynètes à droite et à gauche, mais l’essentiel de l’action – et le plus parlant de la pièce – était mis en valeur, d’une part parce qu’il occupait l’essentiel de la scène, et d’autre part parce que les éclairages, les décors et les costumes, étaient bien plus colorés. Papa avait réécrit son article en ajoutant les commentaires de son aînée, elle était venue l'aider à détailler davantage les points qu'elle était, elle, capable d'appréhender, et le retour qu'on lui avait fait était plutôt encourageant. « C’est mieux », lui avait-on simplement dit, mais il avait l'habitude de commentaires laconiques. Et il avait décidé d’emmener sa fille, les prochaines fois. Si elle n’était pas très enthousiaste à l’idée d’assister à des pièces de théâtre qu’elle ne lirait sans doute jamais, ou des opéras dont la musique la laissait particulièrement impassible, elle était ravie de partager au moins quelque chose avec son père.
C’était devenu un rituel. Toutes les semaines, un soir ou un autre, elle partait avec Papa, voir une pièce, un opéra, un concert. Et comme tout rituel, il y avait tout le cérémonial qui allait avec. Meg ne portait pas ses créations pour aller travailler, et même si elle appréciait qu’on se retourne sur son passage, elle avait encore du mal à passer totalement le cap du look normal dans la vie de tous les jours pour ne porter que ses créations. Alors pour les soirs où elle allait à l’opéra, ou dans les grandes salles de concert ou de théâtre avec son père, elle apportait un soin tout particulier à ses tenues, à son maquillage, à sa coiffure. Tout ce qu’elle n’osait pas encore tout à fait, en plein jour. Ca avait surpris Papa, la première fois, parce qu’il n’avait pas l’habitude de la voir ainsi accoutrée. Mais il avait fini par passer outre sa surprise et la complimenter, et ces mots restaient gravés dans sa mémoire. « Tu es superbe », lui avait-il dit, et elle n’avait eu de cesse de redoubler d’efforts, chaque soir où ils sortaient, rien que pour ne pas le décevoir.
Il y avait la partie « technique », le côté littéraire pur, qu’il gérait, et il y avait l’esthétique des décors et des costumes, qu’elle commentait. Il retranscrivait, il était bien plus habile avec les mots qu’elle n’aurait jamais pu l’être, et il commençait à gagner un peu plus en notoriété au niveau du journal - et pas seulement pour son nom. Il n'avait pas besoin de ça, lui, tout héritier qu'il était, pour vivre, leurs confortables demeures en attestaient, mais c'était un travail qui lui plaisait, et la rousse était, clairement, la première à pouvoir comprendre sa démarche. De là à ce qu’il ait droit à une autre rubrique, il y avait de la marge. Mais tout vient à point à qui sait attendre, répétait-il, et Meg ne doutait pas de lui, jamais. Elle l’encourageait, même, et il ne répondait que par un sourire, et par une petite tape sur sa tête, comme il l’avait parfois fait lorsqu’elle était enfant. Il n’en fallait pas beaucoup plus pour égayer ses journées, pourtant assez mornes quant à sa propre carrière à vrai dire.
Elle accompagnait donc de plus en plus régulièrement Papa, non seulement au théâtre ou à l’opéra, mais aussi lorsqu’il se rendait sur les lieux de certaines bizarreries - elle ne comprenait pas vraiment ce qu'il faisait d'ailleurs, mais elle s'en fichait, elle était avec lui -, et enregistrait les éléments visuels dont elle lui redonnait parfois des détails lorsqu’elle venait le voir dans son bureau.
« Je dois chroniquer Lucia di Lamermoor... J’ai deux places pour vendredi soir, tu viendras avec moi ? - Bien sûr. »
Bien sûr. S’il y avait bien une chose qu’elle ne manquait sous aucun prétexte, c’était bien ces sorties-là. Même, comme cette fois-ci et de nombreuses autres, où elle devait travailler aux aurores le lendemain matin. Non seulement elle était avec lui, ce qui était pour beaucoup dans son enthousiasme à l’idée d’aller voir ces pièces de théâtre ou ces opéras dont elle ne connaissait pas grand chose à l’origine, mais en plus, elle avait l’occasion de porter certaines de ses créations. Parce que même si dans la salle, tout le monde ne faisait pas forcément beaucoup d’effort sur le look, il y avait encore pas mal de gens un peu vieux jeu qui s’habillaient pour cette sortie, et elle appréciait de pouvoir faire pareil. Quoi que les soirées avec Cendryne à discuter de ce qu’elles mettraient en place quand elles auraient leur propre maison de couture rivalisent pas mal avec les sorties avec son père. Et puisque Papa revêtait d’ailleurs toujours son smoking, c'était logique qu'elle aussi sorte les tenues de soirée, et elle apportait d’ailleurs un soin tout particulier à sa toilette. Lucia di Lamermoor ne fit pas exception à la règle.
Ils avaient des places dans une loge au premier étage, qui auraient dû coûter une petite fortune au journal, s'ils n'avaient pas gentiment été invités par la municipalité. Elle s’était installée, en prenant un soin tout particulier pour ne pas trop froisser sa robe bustier, en soie rose agrémentée de sequins et de dentelle noirs, dessinant deux étoiles de mer sur son ventre, à gauche. Le printemps s’installait, mais elle gardait un boléro noir aux manches légèrement évasées et au col montant froncés. Plusieurs jupons de tulle noir donnaient de l’épaisseur à la jupe évasée qui découvrait ses jambes jusqu’aux genoux, recouvertes d’une résille fine noire. Des escarpins vernis, une boucle agrémentée d’une étoile de mer rose enserrant chacune de ses chevilles, complétaient l’ensemble. Une barrette ornée d’une autre étoile parsemée de sequins noirs, et de tulle roses retenait ses cheveux hors de son visage sur la droite, et elle avait, comme à son habitude, apporté un soin particulier à son maquillage, dessinant ses yeux à l’eye-liner noir, marquant la courbe de ses sourcils, donnant du volume à ses cils. Un dégradé de blanc et de rose illuminait ses paupières et un gloss à peine plus sombre que sa robe ourlait ses lèvres.
Elle aurait aimé que les costumiers apportent autant de soin aux tenues des chanteurs qui évoluaient devant eux, que coiffeurs et maquilleurs soignent davantage leur travail, que les décorateurs aillent un peu plus loin dans leur démarche d’épurer la scène. Tout ne lui semblait abouti qu’à moitié. Et la musique ne l’intéressait pas plus que ça, mais il était rare qu’elle accroche à quelque mélodie d’opéra. Au bout de vingt minutes, elle jouait déjà avec la bague en perle de rocaille qui ornait son majeur droit, et murmura quelques mots à son père avant de quitter la loge après à peine trois quarts d’heure de représentation.
Elle avait arpenté les couloirs un moment, son petit sac à main oscillant au rythme de ses pas, avant de se décider à s’arrêter dans un énième corridor, devant une porte entrouverte sur une salle vide, pas très sûre de l’endroit où elle se trouvait jusqu’à ce qu’elle repère, au fond, une affiche qu’elle avait vue en arrivant. Appuyée contre le mur de la pièce plus restreinte que celle qu’elle venait de quitter, elle avait fini par ouvrir son sac et en sortir un carnet et un crayon de papier minuscules, avec lesquels elle avait commencé à griffonner quelques esquisses, censées remplacer avantageusement les costumes de Lucia et de son cher et tendre – si toutefois ce qu’ils portaient ce soir pouvait être appelé « costume ». Et puis elle ressentit le besoin de prendre l'air et sortit, arpentant la rue dans laquelle se dressait l'opéra sans pour autant trop s'éloigner. Elle n'aurait pas dû prendre cette ruelle, c'était une très mauvaise idée... et elle le comprit trop tard.
Elle n'était pas seule dans la venelle. Ou en tout cas, ne l'était plus. Elle sentit cette présence dérangeante comme on a le sentiment de se faire des films, comme un pur produit de son imagination, entraînée par la noirceur de la nuit et l'étroitesse de la rue. Pourtant quand elle s'était retournée, il y avait bien quelqu'un. Quelque chose. Elle qui s'attardait tant aux détails n'était même pas capable de le décrire. Tout ce qu'elle pourrait préciser, concernant cet instant, c'était qu'elle se sentit aussitôt paniquée, et qu'elle ressentirait encore presque toujours l'emprise sur ses bras, et la douleur dans son épaule. A quel moment sa veste était-elle tombée ? Aucune idée. Comment s'était-elle retrouvée, un instant après, blessée mais délestée de l'étreinte de son agresseur indéterminé ? Aucune espèce d'idée non plus. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle se trouvait à présent là, dans cette ruelle sombre, à quelques mètres de deux silhouettes peu distinctes, blessée, et que l'une d'elle, manifestement supérieure hiérarchique de l'autre au vu des bribes de conversation qu'elle arrivait à percevoir malgré son esprit embrouillé par la douleur, engueulait l'autre et le sommait de se rendre ailleurs.
Meg n'était pas vraiment une frêle jeune fille sans défense, à la base. Certes, elle était mince, et jeune, mais elle avait toujours eu une arme blanche sur elle, « pour le cas où ». Pas qu'elle sache particulièrement bien se servir du petit couteau qu'elle sortit de son sac, mais c'était un truc qu'elle avait toujours sur elle, comme ses seringues et son flacon d'épinéphrine. C'était arrivé une fois qu'on la contrôle et qu'on lui confisque la lame, parce qu'elle n'avait pas encore 21 ans. Les forces de l'ordre avaient pourtant été plutôt compréhensives, finalement, elle avait juste payé son amende, mais expliqué clairement qu'elle préférait ça à ce qu'on la retrouve le lendemain matin violée et tuée sur un trottoir. Ils n'avaient pas pu lui donner raison, puisqu'elle n'avait pas l'âge pour porter une arme, même de petite taille, mais elle avait bien vu qu'ils ne pouvaient pas non plus lui donner complètement tort. Il y en avait même un qui lui avait conseillé d'apprendre à s'en servir, et elle regrettait déjà de n'avoir pas suivi son conseil.
A ce moment-là, donc, elle l'a sortie, sans trop réfléchir. Sans trop bien savoir s'en servir non plus, donc. Et elle a attaqué le type qui restait - dont le nom lui reviendrait vaguement plus tard bien qu'elle ne soit jamais très certaine de ce qu'elle avait pu entendre -, pas très sûre de si c'était son agresseur ou non. Mauvaise idée, parce que manifestement, il avait plus de connaissances qu'elle en matière d'auto-défense. Et si l'effet de surprise lui a donné l'avantage quelques secondes, ça n'a pas duré, et elle s'est retrouvée, à nouveau en fâcheuse position. Il aurait pu la tuer sur l'instant, sans le moindre doute, mais il ne l'a pas fait. Et les mots qu'il a alors prononcés lui restent en mémoire depuis lors.
« T'as déjà eu de la chance ce soir, ne tente pas le diable et retourne vivre ta vie. »
C'était mal la connaître. Elle n'acceptait déjà pas les ordres de ses parents, il y avait peu de chance qu'elle les accepte de qui que ce soit d'autre.
Apprends-moi son histoire - part IV
~ Act IV ~ They say I'm seeking out the danger
Il l'avait plantée là, cependant, sans un mot de plus. Et elle ne se voyait pas non plus rester dans ce passage obscur, l'épaule amochée, toute seule indéfiniment. Elle avait fouillé dans son petit sac en vain de quoi dissimuler la morsure - quel être humain pouvait mordre ainsi ? - et s'était contentée d'essuyer le surplus de sang et de refermer son boléro par dessus, réarrangeant sa coiffure pour qu'elle tombe de ce côté-là en prime. Bientôt, d’ailleurs, son père la chercherait, ne la trouvant pas près des boissons à l’attendre pour critiquer ouvertement la pièce. Et d'un coup, comme elle s'apprêtait à regagner le bâtiment qu'elle n'eût sans doute jamais dû quitter, elle se sentit vidée de toute force. Elle n'avait jamais été trop à l'aise avec la vue du sang et la douleur, et même si la perte d'hémoglobine n'était pas si importante, la pression retombant, elle se sentait vidée, à bout de force. Elle avait pourtant l’intention de continuer à avancer, mais son corps refusait de lui répondre et elle dut s'appuyer contre le mur pour ne pas tomber. Ok, c'était pas l'usage de base, mais tant pis, c'était la seule idée qui lui était venue en tête pour faire bonne figure dans deux minutes. Elle extirpa de son sac à main la seringue et le flacon d’adrénaline qu’elle gardait sur elle en permanence, au cas où elle ferait une réaction allergique, et pour préparer l’injection. Elle resta inerte, quelques instants encore, après que la molécule eut fait effet, accélérant son rythme cardiaque et dilatant ses pupilles. Il fallait que ça lui redonne un peu d'énergie, c'était tout ce qu'elle souhaitait. Restait aussi à espérer que Papa acceptât de s’éclipser avant la fin de la pièce, elle ne se voyait pas tenir jusqu’au bout.
« Meghann ? - J'arrive ! J'avais besoin de prendre l'air et... j'en ai pour une minute... »
Elle avait désigné les toilettes pour femmes, et il l'avait laissée faire, de loin, comme elle entrait seulement dans le hall, détournant le visage pour qu'il ne vit pas ses larmes. Etait-ce vraiment sa voix ? Elle doutait que son père eût pu réellement l’entendre tant elle lui avait semblé faiblarde, à quelque distance encore de lui, mais peut-être que le geste avait suffi. Elle avait fini par parvenir à avancer, malgré ses jambes trop faibles à son goût. Et avait fait un crochet par les wcs, donc, où elle avait bu quelques gorgées d’eau et pris le temps – beaucoup de temps, bien plus qu’à l’ordinaire à vrai dire – pour vérifier sa tenue, s’assurer que rien ne pût trahir ce qui venait de se passer, pas même le mascara déposé par les larmes sur ses joues, et encore moins la marque laissée en haut de son épaule, fort heureusement à peu près dissimulable sous le col de son boléro, et la couche de fond de teint supplémentaire qu’elle y appliqua - très bonne idée quand la blessure n'est pas encore refermée, ahem...
Agrippée au lavabo, elle inspira profondément une fois, puis deux, puis trois, avant de se décider à repartir, pour rejoindre son père et les autres, où elle devrait garder le masque. Il avait pourtant vu tout de suite qu’elle n’allait pas bien. Elle avait prétexté une chute de tension ou une crise d’hypoglycémie, quelque chose de ce type, plus commun, moins impliquant. Et il avait proposé aussitôt de rentrer. Tant pis pour la fin de la pièce, il ferait comme si.
« De toute façon, c’était mauvais... » avait-elle fini par murmurer dans la voiture, l’air absent, complètement épuisée qu’elle était. C’était d’ailleurs ce qu’il écrirait dans son article, en s’appuyant pour une bonne part sur les commentaires qu’elle lui donnerait plus tard, concernant costumes et décors, insipides à ses yeux.
Elle aurait pu – elle aurait dû peut-être – éviter l’opéra comme la peste, arrêter de s’intéresser à cet homme, cesser ses recherches sur les quelques mots qu'elle avait retenu de la conversation avec son agresseur. Si elle avait été tout à fait sensée, si elle avait été comme la plupart des jeunes américaines, peut-être eût-ce été ce qu’elle eût fait. Elle eût alors repris son train-train quotidien, évitant toute la zone environnant le théâtre, se barricadant la nuit. Au lieu de ça, elle avait continué, et de plus belle encore, à chercher la trace de cet homme - si tant était qu'il fût homme. Régulièrement, elle retournait aux représentations à l’opéra ou aux pièces de théâtre que son père devait critiquer avec lui, et guettait les visages sur le trajet et aux alentours, certaine de reconnaître celui de son sauveur et agresseur à la fois, entre mille, si elle le croisait à nouveau. En vain. Il n'avait peut-être rien à faire par ici, en réalité. Et sans doute qu'il ne se souvenait même plus d'elle, tout comme il ne restait de leur rencontre que la vague rumeur d’une fille au teint livide qui avait quitté cet opéra à l’entracte, sans doute en hypoglycémie. Après tout, les filles à la mode étaient toutes anorexiques, n’est-ce pas ? Elle n’avait pas dû suffisamment se nourrir, voilà tout... Elle les avait même lancées elle-même, ces rumeurs, à l’origine, et personne n’était jamais venu chercher plus loin. Tout ça n'avait plus été qu'une anecdote parmi tant d'autres, finalement.
Sauf qu'elle, elle n'oubliait pas. Elle avait soigné sa blessure comme elle avait pu, donc sans doute pas comme il fallait, et en gardait la marque. Au moins avait-elle pris le soin de la désinfecter - à outrance, peut-être, même - et avait-elle évité l'infection. Mais chaque fois qu'elle la voyait, elle ne pouvait s'empêcher de repenser à ce soir-là. Et si son agresseur initial restait parfaitement flou dans son esprit, c'était le visage de l'autre qu'elle voyait, ses mains sur ses épaules, et la lame sous son cou qu'elle ressentait. Le souvenir lui restait vivace, aussi terrifiant qu’obsédant. Elle y pensait le jour, en rêvait la nuit. Il lui semblait parfois entendre sa voix, elle redessinait sans peine les contours de son visage. Son sauveur. Son agresseur aussi. C'était perturbant et pourtant... Elle n’avait aucun droit, aucune emprise possible sur lui, et pourtant, elle ne pouvait pas le qualifier autrement : C’était lui qui était venu - certes sans doute pas réellement intentionnellement, mais qu'est-ce que ça changeait ? - la délivrer de l'attaque de l'autre, lui qui l’obsédait jour et nuit à présent. Qu’elle le veuille ou non, ils étaient liés, d’une certaine manière. Parce qu’elle devrait être morte à l’heure actuelle, de sa main ou de celle de son sous-fifre.
Et elle n’arrêtait pas d’y penser. Parfois même sans qu’elle s’en rendît compte, son esprit vagabondait et revenait à cette soirée, à ces quelques instants où sa vie avait failli arriver à son terme. Cendryne devait la reprendre, parfois, comme les tracés de strass cousus main qu’elle plaçait machinalement sur le tissu des nouveaux modèles de chez Goldenmeyer revenaient à des étoiles ou des vagues au lieu de modèles floraux... Elle jurait, et reprenait à zéro, s’efforçant de rattraper ses boulettes avec l'aide de son amie. S’ils voyaient ça, elle était virée, à coup sûr...
Et puis ? Si elle était vraiment licenciée, est-ce que c’était si grave ? De toute façon, elle devrait être morte à l’heure actuelle. Au final, c'était sans doute ça qui l'obsédait depuis ce soir-là. Mais elle était incapable de l’expliquer à son amie. Et il fallait qu’elle arrête d’y penser, mais elle n’y parvenait pas. Ca avait beau faire des semaines, elle n’arrivait ni à oublier, ni à se sentir parfaitement maîtresse d’elle-même. Cendryne et elle se connaissaient suffisamment pour que la jeune femme comprît qu’il était inutile de chercher à en savoir davantage, mais elle l’observait souvent en coin, visiblement inquiète. Elles continuaient à travailler ensemble, mais de plus en plus souvent, le silence s'installait. Et quand Meg ne réagit que vaguement lorsque Cindy lui indiqua un soir qu’elle ne pouvait pas la ramener, elle sentit son angoisse comme elle lui suggérait de faire attention à elle.
C’était étrange, pour Meg de voir quelqu’un s’inquiéter pour elle. En dehors de son père, s’entend. Même si ce quelqu’un était Cendryne, la personne la plus proche qu'elle eût au monde en dehors de son père, celle qu'elle considérait presque comme une amie. Presque, parce qu'elle n'était pas certaine de pouvoir parfaitement définir ce terme. Et puis parce qu'elle savait qu'elle allait l'abandonner. Au prochain semestre, elle se promettait de reprendre des études, à la plus grande joie de ses parents qui n'attendaient manifestement que ça, de Maman notamment, qui s'était fait un plaisir de lui rabâcher qu'elle s'était plantée - même si l'Histoire, ce n'était pas forcément le cursus idéal, mais passons. Le pire dans tout ça, c'était qu'elle n'en avait rien à faire. Elle passait du temps en bibliothèque, approfondissant les maigres recherches qu'elle avait commencé à faire sur les quelques termes bizarres qu'il lui avait été donné d'entendre, et qui renvoyaient à d'obscures croyances occultes et démoniaques. Elle ne voulait pas y croire, à ces sornettes, mais peut-être que cet homme y croyait, lui. Et peut-être qu'à force de chercher dans les trucs bizarres et les groupes qui croyaient à ces trucs-là, elle finirait par lui retomber dessus.
Elle avait fini par donner sa démission. Elle en avait parlé à Cendryne, qui n'avait pas pu masquer une pointe de déception, mais l'avait assurée de son soutien. Elle avait raison d'assurer son avenir, lui avait-elle dit, de faire de vraies études. Elle avait du talent, et un jour ou l’autre, elle percerait, elle en était certaine. Si elle avait seulement su ! Mais Meg refusait d'impliquer davantage la jeune maman qui avait encore un avenir à construire, elle. Pour elle comme pour son petit Floriant. Meg ne parvenait pas à appréhender le sien, d'avenir. Elle était morte ce soir-là, au moins en partie. Fantôme de celle qu'elle avait été, elle ne prêtait attention à ... rien ou presque. Même la mode et ses créations ne la satisfaisaient plus autant qu’avant. Elle ne les délaissaient pas totalement, continuait à coudre et à regarder les défilés avec intérêt, mais ils n’avaient plus la même saveur. Ses pensées restaient éternellement centrées sur ses recherches et ce visage, et elle commençait à avoir une certaine collection d'informations sur l'occultisme, qu'elle ne cessait de chercher à agrandir. Elle écumait les ouvrages de la bibliothèque universitaire, où elle avait fini par être officiellement admise, au grand étonnement de ses professeurs et camarades, qui ne comprenaient pas son engouement pour les vieux films et les légendes glauques. Personne ne pouvait comprendre son engouement irraisonné, qui en venait même à surpasser sa passion pour la mode. C’était fini, WPBO ne verrait jamais le jour, officiellement. Elle n’en avait plus le courage, plus l’envie même, pour l'instant, et doutait que ça revienne un jour. Oh bien sûr, elle en rêvait encore, parfois. Mais le visage de cet homme revenait tôt ou tard déchirer ces songes, anéantir ce qu’elle parvenait à construire lors de ces fictions nocturnes. Et elle s’éveillait avec l’impression d’un malaise, d’une présence alors qu’elle se trouvait seule dans sa chambre, sentant encore et encore et encore et encore les mains de l'homme sur ses bras.
Elle ne pouvait pas vivre comme ça. Vivre n’était même plus le mot adéquat, elle avait cessé de vivre ce soir-là, quoi qu’elle prétende. Il fallait qu’elle y mette un terme.
Qu'il qu'il soit.
Dernière édition par Aaron Greystoke le Mar 11 Nov 2014 - 16:46, édité 2 fois
Nathanael Keynes
Nombre de messages : 607 Date d'inscription : 12/02/2014
Sujet: Re: Meghann ♆ Mer 21 Mai 2014 - 19:19
Meghann Ariel Cooper
(let's take a shortcut... well... sort of...)
Apprends-moi son histoire - part II
~ Act III ~ My skin still burns at all the places you've touched
Trois ans. Trois ans qu’elle était assignée aux ourlets, aux petites retouches, parfois – exploit – à la finition pour broder quelques perles, quelques sequins, par ci par là, sur le dernier modèle. Parfois. Trois ans qu’elle voyait pousser le petit bout d’homme que devenait Floriant, qu’elle avait appris qu’il faisait ses dents, qu’il commençait à marcher, elle avait eu le détail des premiers mots, des premières bosses aussi, à force qu’il aille tout explorer… Et elle revoyait invariablement les premières fois d’Amy, avec un pincement au cœur, à chaque fois que sa collègue lui racontait une nouvelle anecdote. Amy qui entrait à la fac à présent et qu'elle n'avait, finalement, pas vraiment vue grandir. Elle n'était pourtant pas tellement plus âgée que la petite dernière, pourquoi se souvenait-elle aussi clairement de tout ça ?
Trois ans que Cendryne l’encourageait, qu’elles discutaient ensemble des nouvelles idées de Meghann, qu’elles échangeaient leurs points de vue, pour le jour où ça marcherait vraiment. Trois ans que la jeune maman lui soufflait de ne pas porter ses créations au travail, de peur qu’ils lui piquent ses idées.
« Il faudra des noms à tes collections, Meg. T’as des idées ? Je suppose que ça serait pas mal de centrer d’une manière ou d’une autre sur la mer que tu évoques partout... - White Pearl, Black Ocean. WPBO. - Pour la marque ? »
Meg avait simplement hoché la tête, et Cindy avait souri. Elle n’en attendait pas moins de sa camarade à vrai dire : elle avait de la suite dans les idées, et il était clair que son cerveau fonctionnait sans cesse, élaborant les futurs plans de sa propre ligne de couture. Pour la rousse, il était tout aussi évident que le jour où elle arriverait à ses fins, Cindy serait à ses côtés. Elle n’avait pas vraiment eu d’ami jusque-là, et Cendryne était sans doute ce qui s’en rapprochait le plus. Et elle n’imaginait même pas ce que ce serait, sans ses commentaires. Elle lui sortait d’ailleurs un petit carnet qu’elle avait toujours sur elle, et lui désigna un petit croquis, reprenant en partie ses tatouages : une coquille contenant une perle, encerclée d'une vague enroulée.
« White Pearl, Black Ocean », avait répété la jeune femme, « il faudra que je trouve des noms pour chaque modèle par contre, mais mon père m’a emmené voir une pièce l’autre jour, je pensais pas que je pourrais trouver des trucs intéressants chez Shakespeare. »
Une fois encore, Cendryne avait souri, puis posé un doigt sur ses lèvres, comme on commençait à les surveiller.
Le père de Meghann avait écopé – officiellement – de la rubrique arts et culture. Au départ, il y allait un peu à reculons, pas très enclin à critiquer des œuvres qu’il ne connaissait pas forcément, et sur des points de vue qu’il n’avait pas forcément. La première fois, il avait axé son article presque entièrement sur le jeu des acteurs et le travail de mise en scène, et on lui avait reproché de ne pas évoquer du tout les costumes et décors, pourtant essentiels à l’appréhension de la pièce et de l’ambiance générale. Il en avait vaguement parlé un soir au dîner, et Meg, qui avait choisi finalement de rester encore quelques temps sous leur toit et d'économiser pour pouvoir monter son entreprise, avait levé les yeux de son plat, qu’elle mangeait en silence, comme bien souvent. Elle lui avait demandé des descriptions, froncé les sourcils un certain nombre de fois, une moue boudeuse avait déformé ses traits une fois ou deux.
« C’était quoi le principe de la pièce ? » lui avait-elle demandé, n’y connaissant pas grand chose à vrai dire.
Mais ce sur quoi elle avait au moins un bon ressenti, c'était sur les costumes, et elle visualisait assez bien ce que son père lui décrivait. Pendant quelques instants, à mesure que son père répondait à sa question, Meg était restée songeuse. Et puis elle lui avait donné son avis. Il y avait de bonnes idées, à son sens. On faisait bien la distinction avec l’ersatz de Widgery Report figuré par les saynètes à droite et à gauche, mais l’essentiel de l’action – et le plus parlant de la pièce – était mis en valeur, d’une part parce qu’il occupait l’essentiel de la scène, et d’autre part parce que les éclairages, les décors et les costumes, étaient bien plus colorés. Papa avait réécrit son article en ajoutant les commentaires de son aînée, elle était venue l'aider à détailler davantage les points qu'elle était, elle, capable d'appréhender, et le retour qu'on lui avait fait était plutôt encourageant. « C’est mieux », lui avait-on simplement dit, mais il avait l'habitude de commentaires laconiques. Et il avait décidé d’emmener sa fille, les prochaines fois. Si elle n’était pas très enthousiaste à l’idée d’assister à des pièces de théâtre qu’elle ne lirait sans doute jamais, ou des opéras dont la musique la laissait particulièrement impassible, elle était ravie de partager au moins quelque chose avec son père.
C’était devenu un rituel. Toutes les semaines, un soir ou un autre, elle partait avec Papa, voir une pièce, un opéra, un concert. Et comme tout rituel, il y avait tout le cérémonial qui allait avec. Meg ne portait pas ses créations pour aller travailler, et même si elle appréciait qu’on se retourne sur son passage, elle avait encore du mal à passer totalement le cap du look normal dans la vie de tous les jours pour ne porter que ses créations. Alors pour les soirs où elle allait à l’opéra, ou dans les grandes salles de concert ou de théâtre avec son père, elle apportait un soin tout particulier à ses tenues, à son maquillage, à sa coiffure. Tout ce qu’elle n’osait pas encore tout à fait, en plein jour. Ca avait surpris Papa, la première fois, parce qu’il n’avait pas l’habitude de la voir ainsi accoutrée. Mais il avait fini par passer outre sa surprise et la complimenter, et ces mots restaient gravés dans sa mémoire. « Tu es superbe », lui avait-il dit, et elle n’avait eu de cesse de redoubler d’efforts, chaque soir où ils sortaient, rien que pour ne pas le décevoir.
Il y avait la partie « technique », le côté littéraire pur, qu’il gérait, et il y avait l’esthétique des décors et des costumes, qu’elle commentait. Il retranscrivait, il était bien plus habile avec les mots qu’elle n’aurait jamais pu l’être, et il commençait à gagner un peu plus en notoriété au niveau du journal - et pas seulement pour son nom. Il n'avait pas besoin de ça, lui, tout héritier qu'il était, pour vivre, leurs confortables demeures en attestaient, mais c'était un travail qui lui plaisait, et la rousse était, clairement, la première à pouvoir comprendre sa démarche. De là à ce qu’il ait droit à une autre rubrique, il y avait de la marge. Mais tout vient à point à qui sait attendre, répétait-il, et Meg ne doutait pas de lui, jamais. Elle l’encourageait, même, et il ne répondait que par un sourire, et par une petite tape sur sa tête, comme il l’avait parfois fait lorsqu’elle était enfant. Il n’en fallait pas beaucoup plus pour égayer ses journées, pourtant assez mornes quant à sa propre carrière à vrai dire.
Elle accompagnait donc de plus en plus régulièrement Papa, non seulement au théâtre ou à l’opéra, mais aussi lorsqu’il se rendait sur les lieux de certaines bizarreries - elle ne comprenait pas vraiment ce qu'il faisait d'ailleurs, mais elle s'en fichait, elle était avec lui -, et enregistrait les éléments visuels dont elle lui redonnait parfois des détails lorsqu’elle venait le voir dans son bureau.
« Je dois chroniquer Lucia di Lamermoor... J’ai deux places pour vendredi soir, tu viendras avec moi ? - Bien sûr. »
Bien sûr. S’il y avait bien une chose qu’elle ne manquait sous aucun prétexte, c’était bien ces sorties-là. Même, comme cette fois-ci et de nombreuses autres, où elle devait travailler aux aurores le lendemain matin. Non seulement elle était avec lui, ce qui était pour beaucoup dans son enthousiasme à l’idée d’aller voir ces pièces de théâtre ou ces opéras dont elle ne connaissait pas grand chose à l’origine, mais en plus, elle avait l’occasion de porter certaines de ses créations. Parce que même si dans la salle, tout le monde ne faisait pas forcément beaucoup d’effort sur le look, il y avait encore pas mal de gens un peu vieux jeu qui s’habillaient pour cette sortie, et elle appréciait de pouvoir faire pareil. Quoi que les soirées avec Cendryne à discuter de ce qu’elles mettraient en place quand elles auraient leur propre maison de couture rivalisent pas mal avec les sorties avec son père. Et puisque Papa revêtait d’ailleurs toujours son smoking, c'était logique qu'elle aussi sorte les tenues de soirée, et elle apportait d’ailleurs un soin tout particulier à sa toilette. Lucia di Lamermoor ne fit pas exception à la règle.
Ils avaient des places dans une loge au premier étage, qui auraient dû coûter une petite fortune au journal, s'ils n'avaient pas gentiment été invités par la municipalité. Elle s’était installée, en prenant un soin tout particulier pour ne pas trop froisser sa robe bustier, en soie rose agrémentée de sequins et de dentelle noirs, dessinant deux étoiles de mer sur son ventre, à gauche. Le printemps s’installait, mais elle gardait un boléro noir aux manches légèrement évasées et au col montant froncés. Plusieurs jupons de tulle noir donnaient de l’épaisseur à la jupe évasée qui découvrait ses jambes jusqu’aux genoux, recouvertes d’une résille fine noire. Des escarpins vernis, une boucle agrémentée d’une étoile de mer rose enserrant chacune de ses chevilles, complétaient l’ensemble. Une barrette ornée d’une autre étoile parsemée de sequins noirs, et de tulle roses retenait ses cheveux hors de son visage sur la droite, et elle avait, comme à son habitude, apporté un soin particulier à son maquillage, dessinant ses yeux à l’eye-liner noir, marquant la courbe de ses sourcils, donnant du volume à ses cils. Un dégradé de blanc et de rose illuminait ses paupières et un gloss à peine plus sombre que sa robe ourlait ses lèvres.
Elle aurait aimé que les costumiers apportent autant de soin aux tenues des chanteurs qui évoluaient devant eux, que coiffeurs et maquilleurs soignent davantage leur travail, que les décorateurs aillent un peu plus loin dans leur démarche d’épurer la scène. Tout ne lui semblait abouti qu’à moitié. Et la musique ne l’intéressait pas plus que ça, mais il était rare qu’elle accroche à quelque mélodie d’opéra. Au bout de vingt minutes, elle jouait déjà avec la bague en perle de rocaille qui ornait son majeur droit, et murmura quelques mots à son père avant de quitter la loge après à peine trois quarts d’heure de représentation.
Elle avait arpenté les couloirs un moment, son petit sac à main oscillant au rythme de ses pas, avant de se décider à s’arrêter dans un énième corridor, devant une porte entrouverte sur une salle vide, pas très sûre de l’endroit où elle se trouvait jusqu’à ce qu’elle repère, au fond, une affiche qu’elle avait vue en arrivant. Appuyée contre le mur de la pièce plus restreinte que celle qu’elle venait de quitter, elle avait fini par ouvrir son sac et en sortir un carnet et un crayon de papier minuscules, avec lesquels elle avait commencé à griffonner quelques esquisses, censées remplacer avantageusement les costumes de Lucia et de son cher et tendre – si toutefois ce qu’ils portaient ce soir pouvait être appelé « costume ». Et puis elle ressentit le besoin de prendre l'air et sortit, arpentant la rue dans laquelle se dressait l'opéra sans pour autant trop s'éloigner. Elle n'aurait pas dû prendre cette ruelle, c'était une très mauvaise idée... et elle le comprit trop tard.
Elle n'était pas seule dans la venelle. Ou en tout cas, ne l'était plus. Elle sentit cette présence dérangeante comme on a le sentiment de se faire des films, comme un pur produit de son imagination, entraînée par la noirceur de la nuit et l'étroitesse de la rue. Pourtant quand elle s'était retournée, il y avait bien quelqu'un. Quelque chose. Elle qui s'attardait tant aux détails n'était même pas capable de le décrire. Tout ce qu'elle pourrait préciser, concernant cet instant, c'était qu'elle se sentit aussitôt paniquée, et qu'elle ressentirait encore presque toujours l'emprise sur ses bras, et la douleur dans son épaule. A quel moment sa veste était-elle tombée ? Aucune idée. Comment s'était-elle retrouvée, un instant après, blessée mais délestée de l'étreinte de son agresseur indéterminé ? Aucune espèce d'idée non plus. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle se trouvait à présent là, dans cette ruelle sombre, à quelques mètres de deux silhouettes peu distinctes, blessée, et que l'une d'elle, manifestement supérieure hiérarchique de l'autre au vu des bribes de conversation qu'elle arrivait à percevoir malgré son esprit embrouillé par la douleur, engueulait l'autre et le sommait de se rendre ailleurs.
Meg n'était pas vraiment une frêle jeune fille sans défense, à la base. Certes, elle était mince, et jeune, mais elle avait toujours eu une arme blanche sur elle, « pour le cas où ». Pas qu'elle sache particulièrement bien se servir du petit couteau qu'elle sortit de son sac, mais c'était un truc qu'elle avait toujours sur elle, comme ses seringues et son flacon d'épinéphrine. C'était arrivé une fois qu'on la contrôle et qu'on lui confisque la lame, parce qu'elle n'avait pas encore 21 ans. Les forces de l'ordre avaient pourtant été plutôt compréhensives, finalement, elle avait juste payé son amende, mais expliqué clairement qu'elle préférait ça à ce qu'on la retrouve le lendemain matin violée et tuée sur un trottoir. Ils n'avaient pas pu lui donner raison, puisqu'elle n'avait pas l'âge pour porter une arme, même de petite taille, mais elle avait bien vu qu'ils ne pouvaient pas non plus lui donner complètement tort. Il y en avait même un qui lui avait conseillé d'apprendre à s'en servir, et elle regrettait déjà de n'avoir pas suivi son conseil.
A ce moment-là, donc, elle l'a sortie, sans trop réfléchir. Sans trop bien savoir s'en servir non plus, donc. Et elle a attaqué le type qui restait - dont le nom lui reviendrait vaguement plus tard bien qu'elle ne soit jamais très certaine de ce qu'elle avait pu entendre -, pas très sûre de si c'était son agresseur ou non. Mauvaise idée, parce que manifestement, il avait plus de connaissances qu'elle en matière d'auto-défense. Et si l'effet de surprise lui a donné l'avantage quelques secondes, ça n'a pas duré, et elle s'est retrouvée, à nouveau en fâcheuse position. Il aurait pu la tuer sur l'instant, sans le moindre doute, mais il ne l'a pas fait. Et les mots qu'il a alors prononcés lui restent en mémoire depuis lors.
« T'as déjà eu de la chance ce soir, ne tente pas le diable et retourne vivre ta vie. »
C'était mal la connaître. Elle n'acceptait déjà pas les ordres de ses parents, il y avait peu de chance qu'elle les accepte de qui que ce soit d'autre.
Apprends-moi son histoire - part IV
~ Act IV ~ They say I'm seeking out the danger
Il l'avait plantée là, cependant, sans un mot de plus. Et elle ne se voyait pas non plus rester dans ce passage obscur, l'épaule amochée, toute seule indéfiniment. Elle avait fouillé dans son petit sac en vain de quoi dissimuler la morsure - quel être humain pouvait mordre ainsi ? - et s'était contentée d'essuyer le surplus de sang et de refermer son boléro par dessus, réarrangeant sa coiffure pour qu'elle tombe de ce côté-là en prime. Bientôt, d’ailleurs, son père la chercherait, ne la trouvant pas près des boissons à l’attendre pour critiquer ouvertement la pièce. Et d'un coup, comme elle s'apprêtait à regagner le bâtiment qu'elle n'eût sans doute jamais dû quitter, elle se sentit vidée de toute force. Elle n'avait jamais été trop à l'aise avec la vue du sang et la douleur, et même si la perte d'hémoglobine n'était pas si importante, la pression retombant, elle se sentait vidée, à bout de force. Elle avait pourtant l’intention de continuer à avancer, mais son corps refusait de lui répondre et elle dut s'appuyer contre le mur pour ne pas tomber. Ok, c'était pas l'usage de base, mais tant pis, c'était la seule idée qui lui était venue en tête pour faire bonne figure dans deux minutes. Elle extirpa de son sac à main la seringue et le flacon d’adrénaline qu’elle gardait sur elle en permanence, au cas où elle ferait une réaction allergique, et pour préparer l’injection. Elle resta inerte, quelques instants encore, après que la molécule eut fait effet, accélérant son rythme cardiaque et dilatant ses pupilles. Il fallait que ça lui redonne un peu d'énergie, c'était tout ce qu'elle souhaitait. Restait aussi à espérer que Papa acceptât de s’éclipser avant la fin de la pièce, elle ne se voyait pas tenir jusqu’au bout.
« Meghann ? - J'arrive ! J'avais besoin de prendre l'air et... j'en ai pour une minute... »
Elle avait désigné les toilettes pour femmes, et il l'avait laissée faire, de loin, comme elle entrait seulement dans le hall, détournant le visage pour qu'il ne vit pas ses larmes. Etait-ce vraiment sa voix ? Elle doutait que son père eût pu réellement l’entendre tant elle lui avait semblé faiblarde, à quelque distance encore de lui, mais peut-être que le geste avait suffi. Elle avait fini par parvenir à avancer, malgré ses jambes trop faibles à son goût. Et avait fait un crochet par les wcs, donc, où elle avait bu quelques gorgées d’eau et pris le temps – beaucoup de temps, bien plus qu’à l’ordinaire à vrai dire – pour vérifier sa tenue, s’assurer que rien ne pût trahir ce qui venait de se passer, pas même le mascara déposé par les larmes sur ses joues, et encore moins la marque laissée en haut de son épaule, fort heureusement à peu près dissimulable sous le col de son boléro, et la couche de fond de teint supplémentaire qu’elle y appliqua - très bonne idée quand la blessure n'est pas encore refermée, ahem...
Agrippée au lavabo, elle inspira profondément une fois, puis deux, puis trois, avant de se décider à repartir, pour rejoindre son père et les autres, où elle devrait garder le masque. Il avait pourtant vu tout de suite qu’elle n’allait pas bien. Elle avait prétexté une chute de tension ou une crise d’hypoglycémie, quelque chose de ce type, plus commun, moins impliquant. Et il avait proposé aussitôt de rentrer. Tant pis pour la fin de la pièce, il ferait comme si.
« De toute façon, c’était mauvais... » avait-elle fini par murmurer dans la voiture, l’air absent, complètement épuisée qu’elle était. C’était d’ailleurs ce qu’il écrirait dans son article, en s’appuyant pour une bonne part sur les commentaires qu’elle lui donnerait plus tard, concernant costumes et décors, insipides à ses yeux.
Elle aurait pu – elle aurait dû peut-être – éviter l’opéra comme la peste, arrêter de s’intéresser à cet homme, cesser ses recherches sur les quelques mots qu'elle avait retenu de la conversation avec son agresseur. Si elle avait été tout à fait sensée, si elle avait été comme la plupart des jeunes américaines, peut-être eût-ce été ce qu’elle eût fait. Elle eût alors repris son train-train quotidien, évitant toute la zone environnant le théâtre, se barricadant la nuit. Au lieu de ça, elle avait continué, et de plus belle encore, à chercher la trace de cet homme - si tant était qu'il fût homme. Régulièrement, elle retournait aux représentations à l’opéra ou aux pièces de théâtre que son père devait critiquer avec lui, et guettait les visages sur le trajet et aux alentours, certaine de reconnaître celui de son sauveur et agresseur à la fois, entre mille, si elle le croisait à nouveau. En vain. Il n'avait peut-être rien à faire par ici, en réalité. Et sans doute qu'il ne se souvenait même plus d'elle, tout comme il ne restait de leur rencontre que la vague rumeur d’une fille au teint livide qui avait quitté cet opéra à l’entracte, sans doute en hypoglycémie. Après tout, les filles à la mode étaient toutes anorexiques, n’est-ce pas ? Elle n’avait pas dû suffisamment se nourrir, voilà tout... Elle les avait même lancées elle-même, ces rumeurs, à l’origine, et personne n’était jamais venu chercher plus loin. Tout ça n'avait plus été qu'une anecdote parmi tant d'autres, finalement.
Sauf qu'elle, elle n'oubliait pas. Elle avait soigné sa blessure comme elle avait pu, donc sans doute pas comme il fallait, et en gardait la marque. Au moins avait-elle pris le soin de la désinfecter - à outrance, peut-être, même - et avait-elle évité l'infection. Mais chaque fois qu'elle la voyait, elle ne pouvait s'empêcher de repenser à ce soir-là. Et si son agresseur initial restait parfaitement flou dans son esprit, c'était le visage de l'autre qu'elle voyait, ses mains sur ses épaules, et la lame sous son cou qu'elle ressentait. Le souvenir lui restait vivace, aussi terrifiant qu’obsédant. Elle y pensait le jour, en rêvait la nuit. Il lui semblait parfois entendre sa voix, elle redessinait sans peine les contours de son visage. Son sauveur. Son agresseur aussi. C'était perturbant et pourtant... Elle n’avait aucun droit, aucune emprise possible sur lui, et pourtant, elle ne pouvait pas le qualifier autrement : C’était lui qui était venu - certes sans doute pas réellement intentionnellement, mais qu'est-ce que ça changeait ? - la délivrer de l'attaque de l'autre, lui qui l’obsédait jour et nuit à présent. Qu’elle le veuille ou non, ils étaient liés, d’une certaine manière. Parce qu’elle devrait être morte à l’heure actuelle, de sa main ou de celle de son sous-fifre.
Et elle n’arrêtait pas d’y penser. Parfois même sans qu’elle s’en rendît compte, son esprit vagabondait et revenait à cette soirée, à ces quelques instants où sa vie avait failli arriver à son terme. Cendryne devait la reprendre, parfois, comme les tracés de strass cousus main qu’elle plaçait machinalement sur le tissu des nouveaux modèles de chez Goldenmeyer revenaient à des étoiles ou des vagues au lieu de modèles floraux... Elle jurait, et reprenait à zéro, s’efforçant de rattraper ses boulettes avec l'aide de son amie. S’ils voyaient ça, elle était virée, à coup sûr...
Et puis ? Si elle était vraiment licenciée, est-ce que c’était si grave ? De toute façon, elle devrait être morte à l’heure actuelle. Au final, c'était sans doute ça qui l'obsédait depuis ce soir-là. Mais elle était incapable de l’expliquer à son amie. Et il fallait qu’elle arrête d’y penser, mais elle n’y parvenait pas. Ca avait beau faire des semaines, elle n’arrivait ni à oublier, ni à se sentir parfaitement maîtresse d’elle-même. Cendryne et elle se connaissaient suffisamment pour que la jeune femme comprît qu’il était inutile de chercher à en savoir davantage, mais elle l’observait souvent en coin, visiblement inquiète. Elles continuaient à travailler ensemble, mais de plus en plus souvent, le silence s'installait. Et quand Meg ne réagit que vaguement lorsque Cindy lui indiqua un soir qu’elle ne pouvait pas la ramener, elle sentit son angoisse comme elle lui suggérait de faire attention à elle.
C’était étrange, pour Meg de voir quelqu’un s’inquiéter pour elle. En dehors de son père, s’entend. Même si ce quelqu’un était Cendryne, la personne la plus proche qu'elle eût au monde en dehors de son père, celle qu'elle considérait presque comme une amie. Presque, parce qu'elle n'était pas certaine de pouvoir parfaitement définir ce terme. Et puis parce qu'elle savait qu'elle allait l'abandonner. Au prochain semestre, elle se promettait de reprendre des études, à la plus grande joie de ses parents qui n'attendaient manifestement que ça, de Maman notamment, qui s'était fait un plaisir de lui rabâcher qu'elle s'était plantée - même si l'Histoire, ce n'était pas forcément le cursus idéal, mais passons. Le pire dans tout ça, c'était qu'elle n'en avait rien à faire. Elle passait du temps en bibliothèque, approfondissant les maigres recherches qu'elle avait commencé à faire sur les quelques termes bizarres qu'il lui avait été donné d'entendre, et qui renvoyaient à d'obscures croyances occultes et démoniaques. Elle ne voulait pas y croire, à ces sornettes, mais peut-être que cet homme y croyait, lui. Et peut-être qu'à force de chercher dans les trucs bizarres et les groupes qui croyaient à ces trucs-là, elle finirait par lui retomber dessus.
Elle avait fini par donner sa démission. Elle en avait parlé à Cendryne, qui n'avait pas pu masquer une pointe de déception, mais l'avait assurée de son soutien. Elle avait raison d'assurer son avenir, lui avait-elle dit, de faire de vraies études. Elle avait du talent, et un jour ou l’autre, elle percerait, elle en était certaine. Si elle avait seulement su ! Mais Meg refusait d'impliquer davantage la jeune maman qui avait encore un avenir à construire, elle. Pour elle comme pour son petit Floriant. Meg ne parvenait pas à appréhender le sien, d'avenir. Elle était morte ce soir-là, au moins en partie. Fantôme de celle qu'elle avait été, elle ne prêtait attention à ... rien ou presque. Même la mode et ses créations ne la satisfaisaient plus autant qu’avant. Elle ne les délaissaient pas totalement, continuait à coudre et à regarder les défilés avec intérêt, mais ils n’avaient plus la même saveur. Ses pensées restaient éternellement centrées sur ses recherches et ce visage, et elle commençait à avoir une certaine collection d'informations sur l'occultisme, qu'elle ne cessait de chercher à agrandir. Elle écumait les ouvrages de la bibliothèque universitaire, où elle avait fini par être officiellement admise, au grand étonnement de ses professeurs et camarades, qui ne comprenaient pas son engouement pour les vieux films et les légendes glauques. Personne ne pouvait comprendre son engouement irraisonné, qui en venait même à surpasser sa passion pour la mode. C’était fini, WPBO ne verrait jamais le jour, officiellement. Elle n’en avait plus le courage, plus l’envie même, pour l'instant, et doutait que ça revienne un jour. Oh bien sûr, elle en rêvait encore, parfois. Mais le visage de cet homme revenait tôt ou tard déchirer ces songes, anéantir ce qu’elle parvenait à construire lors de ces fictions nocturnes. Et elle s’éveillait avec l’impression d’un malaise, d’une présence alors qu’elle se trouvait seule dans sa chambre, sentant encore et encore et encore et encore les mains de l'homme sur ses bras.
Elle ne pouvait pas vivre comme ça. Vivre n’était même plus le mot adéquat, elle avait cessé de vivre ce soir-là, quoi qu’elle prétende. Il fallait qu’elle y mette un terme.
Qu'il qu'il soit.
Dernière édition par Aaron Greystoke le Mar 11 Nov 2014 - 16:50, édité 3 fois
Nathanael Keynes
Nombre de messages : 607 Date d'inscription : 12/02/2014
Sujet: Re: Meghann ♆ Ven 30 Mai 2014 - 10:35
Act I The age of innocence...
Act II ... and then rebellion
Act III They say I'm seeking out the danger
Act IV You're dangerous... I'm loving it. And they call it obsession
sign
I can't look through your eyes but my mind betrays mine