"Mon cher Howard,

J'imagine que recevoir aujourd'hui un mail de ma part doit surprendre. Je ne sais pas si je fais bien de l'écrire, je sais que les années ont passé, et sans doute que tu as refait ta vie. J'espère que tu vas bien, et que tu as réussi à te reconstruire, à trouver ton bonheur, malgré mon départ. Je n'ai pas la présomption d'imaginer que tu n'as pas pu me remplacer, j'imagine qu'il a seulement fallu un peu de temps pour que la blessure se referme. Peut-être n'as-tu pas envie de lire ces lignes et de voir les souvenirs affluer. Si c'est le cas, j'en suis désolée.

Je profite simplement de ce début d'année pour donner quelques nouvelles, et surtout te souhaiter le meilleur pour cette année et celles à venir, à défaut de l'avoir fait par le passé : tu le mérites réellement. Ces mots semblent peut-être tardifs ou peu crédibles de ma part, pourtant je suis sincère. Je suis désolée de ne pas avoir été celle qu'il te fallait, et de t'avoir blessé. Ca n'a jamais été mon intention, et j'espère réellement que tu es heureux aujourd'hui.

Je me sens un peu ridicule à écrire ces mots, si ça se trouve, cette adresse mail ne fonctionne plus... Ou si tu lis ces lignes et qu'elles t'indisposent, peut-être vaudrait-il mieux que ça ne soit pas le cas ?

Je t'embrasse malgré tout, prends soin de toi et des tiens.
Lynn."

Je ne sais pas ce à quoi je m'attendais. Je crois qu'une part de moi imaginais que ce serait une bouteille à la mer, qui resterait à jamais sans réponse. Une autre craignait de raviver une flamme vengeresse, et de ne recevoir qu'une réponse aigrie et sans appel : qu'il ne voulait plus entendre parler de moi, après la façon dont je l'avais lâché, il y a de nombreuses années. Mais je ne m'attendais pas à un retour sincèrement enjoué.

On a échangé quelques mails, de souhaits pour la nouvelle année et de nouvelles sur nos vies respectives. "Tu aimes toujours la photo ?" Bien sûr, je lui ai répondu le plus naturellement du monde. Je ne m'attendais pas à recevoir une entrée pour la fashion week au Manhattan Center en retour. "T'es pas sérieux ?" Bien sûr que si il l'était. Et moi, bien embarrassée. Je viens d'arriver à mon poste à l'hôpital, je ne peux décemment pas m'absenter toute la semaine. "Au moins pour le gala de fermeture ?" J'ai dû demander quelques faveurs à mes collègues, mais j'ai pu libérer mon 15 février.

Et me voilà tirée à quatre épingles, un pass m'autorisant et l'accès, et l'appareil photo autour du cou, au milieu de la foule ultrachic de la Fashion Week. Un sms à l'attention de mon ex, et je me faufile à la place qui m'a été octroyée. Au premier rang du dernier défilé pour cette saison.

Et aux premières loges pour revoir Melchior Marsh, mon ex-beau-père, mais surtout, le styliste ultra-renommé mis en vedette ce soir...

vendredi 15 février 2019

Plus les années passaient, plus Melchior se sentait fatigué. Pas physiquement, puisque malgré son âge et son expérience, il tenait très bien le coup. Non, la fatigue venait d'ailleurs et plus particulièrement d'à l'intérieur de sa tête. Cette semaine, c'était la fashion-week, un événement auquel il avait été bien évidement invité, mais qu'il aurait pu manquer volontiers. Le travail n'était pas en retard, mais il aurait préféré prendre encore plus d'avance et laisser couler toute cette connerie sans regret. Mais il avait accepté, parce qu'on lui avait promis une petite somme d'argent et qu'il aurait eu le droit à plusieurs questions dont il se serait bien passé s'il avait décliné l'offre, comme "Eh bien, qu'est ce qui vous arrive? ou mieux "Pour quelles raisons ne venez vous pas? et tout un tas d'autres interrogations dans le genre auxquelles il n'avait certainement pas envie de répondre. Alors tant pis, il était venu. En plus, Howard lui avait assuré sa compagnie et c'était une occasion parfaite pour passer du temps avec lui, mais aussi pour parler un peu du métier. Ce dernier lui avait fait part de son souhait définitif de prendre sa suite, mais pour cela, Melchior voulait s'assurer qu'il confierait son bijoux à de bonnes mains, même si c'était son fils.
Avant de s'installer, le styliste était passé chercher une coupe de champagne avant de regagner la place qui lui était attribuée. Howard s'était absenté après avoir croisé des connaissances, il ne devrait pas tarder à revenir. Alors oui, Melchior était seul, mais si cette impression de solitude pouvait déranger pas mal de monde, en ce qui le concernait, il savourait ce moment. Personne pour venir lui parler ou le déranger, c'était le bonheur absolu. Il jeta tout de même un coup d’œil à sa Rolex afin de se repérer dans le temps et ne pas être largué par les événements comme c'était souvent le cas. Tout allait si vite autour de lui que s'il ne surveillait pas un minimum l'heure, il se retrouvait propulsé directement vers la fin de la journée sans qu'il ne comprenne quoique ce soit à ce qu'il s'était passé.
Alors il resta là, à observer la scène en silence, son bras tenant la coupe tendu sur le côté. Au départ, il s'était mis à imaginer ce que donnerait le défilé qui présentera sa prochaine collection, puis son cerveau s'était éteint et s'il donnait l'air de réfléchir, en vérité, il ne pensait à rien. Rien du tout, c'était le trou noir.
Il se réveilla de son léger sommeil éveillé lorsque quelqu'un s'assit à côté de lui. Il n'avait pas percuté au début, mais il y avait bel et bien une jeune femme assise à ses côtés. Il tourna doucement la tête vers elle afin de dévisager la tête blonde familière qu'elle était, et une fois qu'il termina son analyse rapide, il perdit à nouveau son regard sur la scène.
"Je vous connais vous, n'est ce pas?" demanda-t-il sur un ton absent mais qui s'adressait bel et bien à l'ex petite amie de son fils.

Je n'en reviens pas d'être ici, ce soir, avec l'autorisation inouïe de prendre des photos d'un tel événement. L'appareil greffé à la main, et à l'oeil, je suis aux anges. Des photos de l'architecture, de la foule bigarrée, de la scène vide, encombrent déjà la carte mémoire quand je m'installe à la place désignée, focalisée sur le podium face à moi... Jusqu'à ce qu'un léger mouvement à côté de moi me fasse tourner la tête et baisser l'objectif.

Le père d'Howard. Mr Marsh en personne. Qui plonge son regard sur la scène, quand bien même sa voix s'élève à mon attention.

"Je vous connais vous, n'est-ce pas?"

Un sourire fleurit sur mes lèvres. On se connaît en effet, même s'il semble m'avoir un peu oubliée. Je ne lui en tiens pas rigueur, je ne suis qu'une ex-petite-amie de son fils, et ça remonte à un moment maintenant... Même si je ne pense pas avoir trop changé depuis lors.

"Avelynn Draven. On s'est connus il y a une petite dizaine d'années par l'intermédiaire de votre fils."

Je tends une main courtoise en répondant à sa question.

"Et c'est à nouveau par son intermédiaire que je suis là ce soir, ravie de vous revoir Mr Marsh."

Je suis on ne peut plus sincère, mais il y a de quoi être ravi, après tout : Le grand Melchior Marsh, de nouveau face à moi. Après ma rupture avec Howard, je n'aurais pas vraiment imaginé que ça soit à nouveau le cas un jour. Et voilà que je me retrouve assise juste à côté de lui !

"Comment allez-vous depuis le temps ? Pardonnez mon ignorance de votre actualité, je reviens tout juste de près d'un an au coeur de l'Afrique..."

Je n'ai même pas encore pris le temps de me remettre à la page en matière de tendances, alors que j'ai gardé l'habitude de suivre l'actualité de sa marque, même après que j'ai quitté Howard. Seulement depuis mon retour à la civilisation si on peut dire, je ne fais que courir, et je n'ai pas encore trouvé toutes mes marques, enchaînant les gardes et les heures supplémentaires à l'hôpital et ménageant autant que possible le reste de mon temps libre pour ma famille, de sang et de coeur. Je me fais la promesse de me rattraper après ce soir, alors que je me suis pourtant répété mille fois depuis que j'ai reçu l'invitation de son fils de me renseigner un minimum et que je n'en ai pas trouvé le temps - à tous les coups, ce sera une résolution de début d'année que je ne tiendrai encore pas...

A tout bien réfléchir, Melchior ne s'était jamais réellement mêlé de la vie amoureuse de ses enfants. Leur situation professionnelle l'importait plus, le reste n'était que futilité. L'important à ses yeux, était qu'ils trouvent le bonheur, rien de plus, rien de moins. Il n'avait pas été beaucoup là pour les élever, mais il s'était efforcé de faire le minimum, pour ne pas reproduire l'erreur de son propre père qui avait quitté le domicile familial du jour au lendemain pour aller faire sa vie ailleurs. Non, ça n'avait jamais été l'intention de Melchior.
A côté, la petite blonde lui confirma qu'ils se connaissaient bel et bien et se présenta sous le nom d'Avelynn Draven, qui connaissait Howard et qui était là ce soir grâce à lui une fois de plus. Melchior tourna la tête vers elle et la détailla du regard afin d'analyser à qui il avait à faire et encrer son souvenir dans sa mémoire autant qu'il le pouvait. En plus de ses cheveux blonds, légèrement bouclés, elle possédait de jolis yeux clairs et son visage ne lui était définitivement pas méconnu. Malheureusement, il en avait vu défilé des centaines dans sa vie et rares étaient les fois où il pouvait donner un nom à chaque tête qu'il avait pu côtoyer.
"Oh, je vois je le suis également. Et quelles sont vos relations avec Howard aujourd'hui même?" demanda-t-il pour s'assurer d'être à jour avec ça.
Il avait mis la scène de côté. Quand bien même le défilé commencerait, il ne s'en apercevrait pas puisqu'il avait entreprit de discuter avec cette femme là et il avait envie de se sociabiliser un petit peu. Après tout, rares étaient les fois où on venait le voir pour parler d'autre chose que de son travail.
Avelynn lui demanda des nouvelles le concernant et s'excusa de ne pas s'être tenue au courant sur sa vie puisqu'elle avait fait un voyage humanitaire en Afrique. Melchior arqua un sourcil, puis un autre, la curiosité était désormais éveillée.
"Allons, ne vous en faites pas pour ça, ma vie peut paraître extraordinaire mais en vérité, elle est plutôt lassante et même banale au fil du temps. Quant à votre voyage, félicitations! J'aimerais pouvoir en faire autant."
Malheureusement, sa condition l'en empêchait et c'était bien ce qui le fatiguait. Il était fier d'être parvenu à atteindre ses rêves et d'être arrivé là où il en était désormais, mais il avait l'impression de ne pas vivre assez de choses nouvelles et que chaque défilé se ressemblaient. Les stylistes avaient une imagination un peu trop débordante et lorsqu'il voyait des horreurs qui ne voulaient rien dire défiler, il se demandait comment ils avaient fait pour tomber si bas. Mais son travail, il l'aimait malgré tout et le tiendra sur place jusqu'à sa mort. Il ne s'inquiétait pas trop pour le moment, il avait encore de beaux jours devant lui et son imagination ne lui faisait pas défaut. Pas encore, en tout cas.
"Qu'êtes vous venue faire à New York Avelynn?" lui demanda-t-il réellement intéressé par la réponse.

Un regard appuyé, observateur, presque inquisiteur. Mr Marsh détaille mon visage, cherche peut-être les souvenirs dans sa mémoire. Je lui rends le regard, souriant paisiblement. Jusqu'à ce que la question tombe.

" Oh, je vois je le suis également. Et quelles sont vos relations avec Howard aujourd'hui même ?
- Et bien c'est une excellente question... Son ex ? Peut-être une amie ? Je ne sais pas trop... "

L'interrogation reste en suspens. Je ne sais réellement pas quoi répondre à cette question. J'ai dit ce qui me semblait le plus juste, mais je reste songeuse un instant moi aussi. Quelle est ma relation avec Howard aujourd'hui ? Je n'en ai strictement aucune idée. Et peut-être qu'il faudrait que j'éclaircisse ce point... Mais pas tout de suite, au fond, je n'en ai pas vraiment envie. Pas encore en tout cas.

" Allons, ne vous en faites pas pour ça, ma vie peut paraître extraordinaire mais en vérité, elle est plutôt lassante et même banale au fil du temps. Quant à votre voyage, félicitations ! J'aimerais pouvoir en faire autant.
- Et pourquoi pas ? "

La question est sincère : pourquoi pas ? Après tout, il a les moyens, et plus rien à prouver. Qu'est-ce qu'il l'empêcherait de prendre quelques mois pour voyager comme il le souhaiterait ? Je suis curieuse.

" Qu'êtes vous venue faire à New York Avelynn ?
- Je viens d'intégrer le service pédiatrique de l'hôpital. Et je viens retrouver mes frères et soeurs aussi. Surtout, même. "

Un sourire radieux. Reece, Norman et Clare sont là, et c'est clairement ma plus grande joie. Et Ali aussi my God, mon Petit Prince. Ma famille de sang et de coeur. Ils m'ont tellement manqué ! J'ignore encore que je vais retrouver une protégée d'une autre époque, également. Que tous ceux qui ont amené un peu de soleil dans ma vie - ou presque - ont convergé vers la grosse pomme, où je les rejoins enfin. Et je crois, pour l'heure en tout cas, que je n'ai plus envie de bouger. Plus envie de m'éloigner d'eux tous. Envie de me poser, d'un peu plus de stabilité. Et peut-être d'autre chose, aussi, que mon indépendante solitude...