Une photo de lui dans un pendentif, ça ne voulait rien dire, n'est-ce pas ? C'était un vieux bijou dont elle n'avait jamais réussi à se séparer, et elle l'aimait bien, voilà tout... Pourtant, c'était bien le cliché qu'elle regardait, à cet instant, seule dans son bureau. Une photo d'eux deux, il y avait de cela si longtemps. Elle avait aimé quelqu'un d'autre, entre temps, avait failli avoir un enfant et se marier. Et pendant les années où elle avait été avec Alexandre, elle n'avait pas pensé à Noah. Pourtant... Ces dernières semaines, il revenait dans ses rêves, sans cesse. Elle l'avait tellement aimé. Et lui, aux dernières nouvelles, était sans doute encore vivant. Elle aurait pu tenter de renouer le contact. Elle aurait pu, mais elle ne l'avait pas fait. Parce qu'elle était persuadée qu'elle ne faisait que tenter de se consoler, de reprendre de vieilles habitudes pour oublier les nouvelles. Oublier la solitude et la tristesse qui faisaient son quotidien depuis maintenant presque cinq ans.

D'un coup sec, elle referma le clapet. Elle avait encore une personne à voir, aujourd'hui. Une élève dont Penelope lui avait parlé. Une jeune médium, apparemment, qui était pas mal malmenée du fait de son don que les autres ne comprenaient pas. Elle-même ne le comprenait pas parfaitement d'ailleurs, et quand la grande blonde entra dans son bureau, elle la dévisagea un moment, en se levant à son approche.

« Approchez, Mademoiselle Delibes. »

Elle lui tendit une main amicale, son empathie naturelle décelant bel et bien un malaise chez l'hébé. Etre différent comme elle pouvait l'être s'avérait souvent être une épreuve assez difficile à traverser. Une épreuve à vie. Ce qu'elle n'imaginait pas, c'était la réaction de la jeune fille lorsque leurs mains se touchèrent.

« Je suis désolée... Pour vos filles... Pour l'accident... Et avant... »

Si elle n'avait pas su la nature de son don, elle aurait songé qu'elle était légilimens. Elle savait que son don était d'une autre nature, cependant, et dirigea finalement l'élève vers la partie plus informelle de son bureau : un petit salon de style ancien lové dans un coin de la pièce. Elle y invita la blonde à prendre place dans un fauteuil confortable, au tissu crème agrémenté d'un coussin rose poudré, et prit elle-même place face à elle, déplaçant un plaid mauve qui lui permettait parfois de contrer le froid. Un froid qu'il lui semblait ressentir, à cet instant-même, alors qu'elle ne s'en plaignait pas le moins du monde auparavant.

« Expliquez-moi, voulez-vous ? Ce que vous voyez, ce que vous ressentez. Prenez votre temps, nous n'avons pas d'impératif. »

Elle lui adressa un sourire engageant et l'écouta expliquer comment son don pouvait parfois se manifester. Elle n'avait jamais eu affaire à des enfants aussi jeunes, pourtant c'était bien deux bambins qu'elle avait vus. Et un homme blond à l'air peiné.

« Ils regrettent de vous voir encore malheureuse après toutes ces années, vous savez... »

Le coeur au bord des lèvres, les yeux au bord des larmes, la psychomage écoutait sa cadette avec toute l'attention dont elle était capable. Elle avait pourtant envie de la harceler de questions. De savoir si Alexandre était là, s'il lui en voulait de ces infidélités qu'elle lui faisait en pensant de plus en plus fréquemment à Noah. Et comme si elle avait pu lire dans son esprit, ce qui pourtant n'en était rien, Micaëla répondit à son interrogation silencieuse.

« Il dit... Que vous méritez d'être heureuse, et que si vous avez la chance de pouvoir retrouver cette personne que vous avez aimée, vous devez foncer... »

C'était le monde à l'envers. Elle avait reçu la jeune fille pour lui venir en aide, et c'était tout le contraire qui était en train de se produire.

« J'y songerai. Si l'occasion se présente. »

C'était cependant comme si un poids quittait ses épaules, et elle ne pouvait pas être plus reconnaissante envers la médium. Elle n'était pas à l'aise, visiblement, avec le fait de parler d'elle et il faut croire qu'elle transmit ce sentiment à la blonde qui baissa le regard sur ses mains nouées.

« Je suis désolée de me mêler de ce qui ne me regarde pas, Mademoiselle Beauchêne. C'est juste que je ne sais pas refuser de transmettre un message.
- Je commence à comprendre... J'imagine que vous n'êtes pas toujours bien accueillie. »

Parce que son malaise était évident. Elle n'avait même pas besoin de son empathie naturelle pour le sentir. Il suffisait de regarder ces doigts liés pour le comprendre et elle posa une main douce sur celles de l'élève.

« Ne vous inquiétez pas pour moi. Vous pouvez me parler librement, Micaëla, je ne ferai pas partie de ceux qui vous rejettent pour ça. »

Le regard que la jeune fille leva sur elle lui fendit le coeur. Des larmes roulaient sur ses joues pâles, et la psychomage resta un moment ainsi, penchée vers elle, une main sur les siennes. Elle pouvait sentir sa réticence, cependant, et lorsque la voix de la jeune fille s'éleva de nouveau, entrecoupée de sanglots, ce fut pour avouer ce qu'elle gardait pour elle manifestement depuis trop longtemps.

« Ils croient tous que je le fais exprès pour les faire souffrir. Que ça me fait plaisir de raviver la blessure. Pourquoi personne ne peut voir que j'essaie simplement d'aider ? A part... à part vous, pardon.
- Vous n'avez pas à vous excuser, pas face à moi. Les gens ont peur de ce qu'ils ne comprennent pas, vous savez. Ca ne vient pas de vous, et vous n'avez pas à en souffrir, même si c'est encore le cas à l'heure actuelle. Je crois que nous avons un gros travail à faire pour faire accepter et comprendre votre don. Voulez-vous m'aider en ce sens ? »

La blonde hocha simplement la tête. Même si elle avait l'air d'avoir du mal à parler de sa qualité de médium, elle acceptait l'aide de la brune, et c'était déjà un premier pas vers un mieux-être. Ne pas rester enfermée, seule, de peur du rejet des autres. C'était la première étape, qu'elle souhaitait lui faire franchir, doucement. Parce qu'elle avait observé, et comprit en partie le fonctionnement la jeune fille avant de la recevoir. Elle restait seule la plupart du temps, à l'exception de sa famille proche, et elle supposait à juste titre qu'elle cherchait ainsi à se protéger des conflits qui naissaient à cause de ce qu'elle pouvait révéler. Ca n'était pas facile pour elle non plus, que d'encaisser les informations de l'hébé, mais contrairement à d'autres, elle avait une propension à la compréhension d'autrui bien plus développée que la plupart des élèves.

« S'il y a quoi que ce soit dont vous voulez parler, je suis à votre écoute, Micaëla.
- Peut-être... Une autre fois. »

La psychomage hocha simplement la tête tandis que l'élève séchait ses larmes. Elle avait manifestement du mal à se confier, mais ne refusait pas catégoriquement son aide, ce qui était déjà un bon point de départ. Et quand la blonde repassa la porte de son bureau, Lëtalia rouvrit le pendentif qui renfermait la photo de son ancien couple. Elle hésitait pourtant. Elle avait bien vu cette annonce dans le journal. Ce vernissage de peintures. De ses peintures. Elle avait autant envie de s'y rendre que d'occulter cette information. Et si elle le voyait, que ferait-elle ? Elle n'en avait aucune idée. Après tout, il avait sans doute refait sa vie, et elle ne parviendrait qu'à se ridiculiser...

« Lëtalia, tu es complètement folle. »

C'est ce qu'elle s'était répété un nombre incalculable de fois. Pourtant, alors que les portes de la galerie s'ouvraient, elle se trouvait devant elles, vêtue d'une robe bustier grise et noire, ses cheveux lâchés autour de son visage, perchée sur de hauts escarpins vernis noirs assortis à la pochette qu'elle tenait dans ses mains. A son cou pendait toujours le pendentif de bronze qu'elle ne pouvait se résoudre à retirer, et qu'elle avait orné d'un petit ruban noir, coordonné avec les deux petites boucles d'oreilles noires qu'on devinait parfois lorsqu'un mouvement de tête dégageait sa chevelure. Et une multitude de joncs d'argent tintaient au moindre des mouvements de sa main droite.

Plus fébrile qu'elle ne le devrait, elle tendit son carton à l'entrée, et pénétra dans la galerie, acceptant avec un soulagement non feint la coupe de champagne qu'un serveur lui proposait. Quelque chose pour occuper ses mains, pour se donner une contenance. Et comme les autres convives, elle entama un tour des ouvres disposées, appréciant le style du peintre qu'elle avait toujours aimé.