Revenir en haut Aller en bas

Le Deal du moment : -29%
PC portable – MEDION 15,6″ FHD Intel i7 ...
Voir le deal
499.99 €

Partagez
 

 07. Enjoy the silence ♫ ft. Penelope I. De Courterois

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 
AuteurMessage
Fiona - Admin
Fiona - Admin
Directrice ♠
Nombre de messages : 797
Date d'inscription : 07/01/2008

https://fionaslab.forum-actif.net
Paspoort
A Amsterdam depuis: Toujours
Petites infos utiles:

07. Enjoy the silence ♫ ft. Penelope I. De Courterois Empty
MessageSujet: 07. Enjoy the silence ♫ ft. Penelope I. De Courterois   07. Enjoy the silence ♫ ft. Penelope I. De Courterois EmptyMer 28 Jan 2015 - 17:26

J'avais passé tout le début d'après-midi à peindre, laissant libre cours à ma créativité pour coucher sur la toile les couleurs que j'avais en tête. En témoignaient les tâches de peinture qui maculaient encore mes doigts. Je ne m'étais même pas aperçue qu'une touche de violet ornait ma joue gauche, et si certains en avaient ri, ils n'étaient pas venus me le dire en face, et je ne m'étais pas rendu compte des sourires dans mon dos. Ce n'était pas comme si je faisais vraiment attention à ce qui m'entourait, surtout quand j'étais en phase de création. J'avais même failli oublier mon cours de métamorphose, et était arrivée juste à temps pour ne pas trouver porte close. Quelques secondes après que je fus entrée, la professeur avait fermé la porte. Tout juste... Je m'étais faite discrète, du reste, au cours de la leçon, parce que ma tête était encore pleine d'éclairs et de fleurs, et que j'avais toutes les peines du monde à me concentrer sur la transfiguration. Tout comme j'avais eu du mal à ne pas laisser mes pensées vagabonder vers le cimetière en terminant les devoirs que j'avais à rendre avant le dîner. Tout comme l'appétit m'avait manqué, et j'avais rapidement déserté le réfectoire pour sortir, même si l'heure de rentrer dans nos salles communes approchait.

C'était entre chien et loup, à l'heure où on détermine difficilement s'il fait encore jour ou s'il fait déjà nuit. L'heure où tout semble surnaturel, baigné dans cette étrange clarté et pourtant déjà enveloppé d'ombres. Et j'étais retournée au cimetière, obnubilée par mon oeuvre et son modèle réel. Au loin, là-bas, les éclairs zébraient encore le ciel, mais le tonnerre ne retentissait plus que de longues secondes après que la foudre eut touché le sol. Les doigts noués derrière mon dos, j'avançais lentement à travers les allées que formaient plus ou moins les tombes. Ce matin quelques pétales subsistaient sur certaines tombes, épars, témoins des fleurs qu'ils avaient autrefois composés. Ce soir, cependant, une rose blanche ornait chaque stèle, et je me demandais qui avait pu les déposer. Car pas une pierre n'en était dépourvue. Une âme endeuillée aurait posé un bouquet sur une tombe précise, songeais-je, qui parmi nous pouvait ainsi pleurer tous les disparus ? Tout le monde et personne à la fois. Et pourtant, la réponse eût pu être évidente. Qui, autre qu'elle, pouvait se sentir responsable de leur trépas ? Qui pouvait regretter les élèves, quels qu'ils soient, mieux que celle qui en avait la charge ?

A quelques dizaines de mètres de moi, elle déposait ses fleurs, une à une, sur le marbre blanc. J'approchais en silence, hésitant à troubler son recueillement. Et en même temps, je savais qu'il fallait que je m'approche, comme si quelque chose me poussait à le faire. Eux peut-être. Ceux qu'elle pleurait, à sa manière. Parce qu'il n'y avait nulle larme sur ses joues. Mais je sais qu'il y a bien des manières de pleurer un défunt, et que toutes se valent. Pour ma part, je ne connaissais guère la plupart d'entre eux, mais aussi anonymes qu'ils soient, leur perte n'en était pas moins triste.

« Madame la Directrice... »

Je n'étais pas vraiment à l'aise, je ne l'étais jamais vraiment quand il s'agissait de parler à une inconnue. Ca n'était pas vraiment de la timidité, simplement que je ne savais pas trouver les mots. Que je doive écrire, ou qu'il s'agisse de chanter, et je retrouvais mon aplomb. Mais c'était là un tout autre exercice, bien plus délicat à mes yeux. Et puis il ne s'agissait pas de n'importe quoi. Et sans trop me l'expliquer, je savais que j'interrompais un moment secret. J'espérais seulement qu'elle ne m'en tiendrait pas rigueur.

« Je crois qu'ils sont ravis que vous preniez soin d'eux. »

Je ne croyais pas, j'étais sûre. Bien sûr, je pouvais sentir la colère de certaines âmes, comme si elle était responsable de leur malheur. Mais il y avait de la reconnaissance pour l'attention qu'elle leur portait, ça, c'était indéniable. Et pour ma part, il était clair que les responsables, c'étaient les membres de l'organisation secrète, et eux seuls. Même si le cas de Leyna divisait mon opinion sur eux. Tous n'étaient peut-être pas si mauvais que ça, finalement...

***

Je suis toujours sincère, même si on ne me croit pas toujours. Alors non, quand j'ai pris la parole, il n'y avait pas une once d'ironie dans mes propos. Et je crois qu'elle avait besoin d'entendre ces mots. Je l'ai regardée rejeter une mèche de cheveux en arrière, ai soutenu son regard comme elle semblait vouloir ainsi me sonder. Je ne doute pas qu'elle ait su qui j'étais tout autant que je connaissais son identité, et son rôle au sein de l'Académie, même si je ne crois pas avoir vraiment de quoi me faire particulièrement remarquer parmi les élèves.

« J'apprécie vos paroles, qui sont le reflet d'un cœur que je suppose généreux. Cela étant dit, Micaëla, je suis seule à blâmer pour les morts et la douleur, et nul mot d'excuse ne pourra jamais absoudre ce péché. »

Je la considère à mon tour gravement. La seule à blâmer ? J'en doute sincèrement. Et eux aussi, autour de moi. Ce n'est pas elle qui a monté l'Organisation. Ce n'est pas elle qui a levé sa baguette contre les élèves. Quelle que soit la faute qu'elle cherche à absoudre, elle ne peut pas, à mes yeux, être plus grave que celle des membres de l'OS. Peut-être a-t-elle une part de responsabilité que j'ignore, moi qui n'écoute guère les racontars autres que ceux que me narre Ana', mais jamais elle n'égalera la leur, parce que je doute qu'elle eût jamais voulu ce bain de sang. Sinon pourquoi serait-elle ici, ce soir, comme tous les autres soirs, à fleurir ces tombes ?

« Les mots ont bien plus de pouvoir qu'on ne leur en accorde. Et les actes aussi. Celui-là est très important à leurs yeux, ça je peux vous l'assurer. »

Je désigne d'un geste vague de la main les fleurs et les tombes autour de nous. Mais je ne m'attendais pas à subir ce questionnement, et je garde un moment le silence, songeuse, tournant et retournant ses interrogations dans ma tête.

« Et vous, que dites-vous de tout cela ? Suis-je la coupable ou la victime à vos yeux, Micaëla ? Soyez franche avec moi. »

Je hoche la tête, comme pour l'assurer de ma franchise. Je cherche simplement quelle peut être réellement ma réponse à sa question, et non celles des voix qui nous entourent. J'ai sans doute l'air un peu perdu, à écouter le monde tel que moi je le perçois, pour le dissocier de mes propres pensées, mais je n'ai guère le choix, et nulle envie de m'expliquer à ce sujet. Alors je garde le silence encore un moment, ordonnant mes pensées.

« Je pense que vos actes, ici, ce soir, vous définissent comme une victime de plus de l'Organisation. Peut-être pas de la même manière que celles qu'on pleure ici, mais ça n'enlève pas moins le poids douloureux qu'ils ont fait peser sur vos épaules. Vous auriez été coupable, peut-être, en refusant de mettre les pieds ici, en oubliant les morts. Et quelle que soit votre péché, le fait que vous tentiez de le racheter vous honore. »

Je sens qu'on réagit autour de nous, que certains pensent comme moi et voudraient le lui faire comprendre. Il reste certaines rancoeurs chez d'autres, cependant, mais je ne veux pas mettre l'accent sur eux. La directrice porte déjà une croix bien assez lourde, nul besoin d'en rajouter.

***

Je vois bien que ma présence ne lui plaît pas. Je vois bien que je suis de trop. Mais je crois qu'il y a des choses qu'elle devrait savoir, même si les âmes présentes sont un peu trop nombreuses pour moi. Je crois qu'elle ne se rend pas compte que ce n'est pas une absence de dignité que de pardonner, bien au contraire. C'est sans doute un acte plus honorable que n'importe quel autre et je sais qu'autour de moi, ils sont nombreux à l'avoir fait. Il y a les autres, évidemment, les âmes en colère, aigries et qui souhaiteraient la voir les rejoindre. Je ne peux pas vraiment les blâmer pour autant. Qui suis-je pour les juger, après tout ? Moi je suis encore en vie, j'ai été étrangement épargnée, malgré la bataille qui a fait rage, et mes proches sont toujours là, près de moi. Peut-être que si Ophé, Nath, ou pire encore, Rosa ou Flo avait succombé sous les assauts de l'organisation, peut-être alors aurais-je plus de mal à pardonner. Mais ça n'est heureusement pas le cas. Et si je savais ce qui avait poussé la directrice à agir comme elle l'a fait - ce que j'ignore aussi d'ailleurs - je crois que j'aurais plus encore compris son geste. Il y a des sacrifices qu'on est parfois prêts à faire pour protéger ceux qu'on aime, même lorsqu'ils semblent intolérables. Parce que perdre un être cher nous semble plus intolérable encore.

Autour de nous quelques visages nous scrutent, qu'elle est à même de voir. Et il y a tous les autres, que je suis la seule à percevoir. Je vois à son attitude digne et froide qu'elle n'accepte pas ma réponse, bien avant qu'elle ne prenne la parole.

« J'apprécie votre sollicitude, Mademoiselle Delibes, mais je ne crois pas vous avoir autorisée à présumer de mes sentiments, ni à juger mes actions. Prenez garde à ne pas manifester trop de présomption envers les personnes qui vous entourent, moi la première. »

Je dois bien avouer que ses propos me blessent. Je ne crois pas être si présomptueuse, ni prendre les gens de haut... mais si c'est l'impression que je lui donne, à elle pourtant si digne à mes yeux, sans doute la donné-je aussi à d'autres. J'imagine que c'est un des facteurs de mon isolement parmi les élèves, induit peut-être par mon don. Ce que je sais, personne ne peut le croire aisément, évidemment. Et d'ailleurs comment l'expliquer ? Mon visage se teinte sans doute de la douleur que je ressens à cet instant : je n'ai jamais su cacher mes sentiments, même si je les explique rarement aux autres.

« Je suis navrée si je vous ai semblé si présomptueuse. Vous m'avez posé une question, j'ai tenté d'y répondre honnêtement et d'expliciter ma réponse... »

Même si je ne peux pas tout expliquer. Comment lui dire que cette reconnaissance, ce pardon, ne vient pas seulement de moi ? Comment lui dire que les disparus sont réellement honorés, puisque moi, je le vois sur leurs propres visages autour de nous ? Je suis certaines à cet instant qu'elle ne me croirait pas, comme personne ne me croit jamais - à quelques exceptions près. Et puis je ne suis qu'une élève, après tout... A l'évidence, je ne peux pas apporter mon aide à notre directrice, aussi fort le désiré-je pourtant. Elle a beau se draper dans sa dignité et sa froideur, je sais que tout ça la touche. Elle ne prendrait pas la peine de venir fleurir toutes les tombes, sans exception, si ça n'était pas le cas.

Je sais, je sens bien, que ce sera mal pris. Et pourtant je ressens le besoin de dire la vérité, d'avouer ce que je vois, ce qui nous entoure, même si les élèves encore présents risquent une fois de plus de se liguer contre moi, même si elle risque fort elle aussi de m'envoyer paître. J'ai beau savoir que ça se terminera mal, je prends pourtant la parole, un peu tremblante, en m'appuyant sur la stèle la plus proche de moi. Ils sont trop nombreux, et je paie le prix des coups que ses propos ont porté à ma psyché. La barrière que je suis d'ordinaire capable d'ériger entre eux et moi s'effrite, et je tiens avec peine sur mes jambes.

« Je doute que vous acceptiez, que vous portiez quelque crédit à un seul mot de ce que je vais dire, mais... Ils sont là, tous, autour de nous. Ils vous observent, chaque soir, quand vous fleurissez leurs tombes. Il y a ceux qui vous en veulent, évidemment, puisqu'ils étaient ici sous votre protection, mais il y a tous les autres aussi. Qui vous remercient de continuer à penser à eux, qui chérissent tous ceux qui ne les oublient pas. Et croyez-le ou non, mais ils sont plus nombreux. »

Je vois un visage qui me sourit, dans une direction ou personne d'autre ne se trouve, et je lui rends ce sourire un peu énigmatique sur mon visage blême. Je sais que c'était ce que je devais faire, même si je ne m'attends pas à la moindre compréhension. Je sais aussi qu'il faudra que je quitte ces lieux, dans peu de temps, si je ne parviens pas à me concentrer de nouveau suffisamment. Et tandis que le silence s'alourdit entre nous, je tente de refaire le vide dans mon esprit, d'ériger des barrières psychiques pour me protéger, autant qu'il m'est encore possible de le faire.

***

Ce qu'on peut dire de moi, au fond, je m'en moque. J'ai l'habitude, surtout, des regards courroucés, réprobateurs, narquois aussi. Je sais que je ne pourrai jamais plaire à tout le monde, et je ne m'y efforce pas. Je sais que j'ai ma famille, mes amis. Et mes correspondants, qui comptent plus que je ne l'aurais cru en entamant mes premières lettres. Alors les regards de la petite assemblée qui s'est formée autour de nous, réellement, je n'y prête pas attention. Mais la Directrice, elle, fait peut-être plus de cas que moi de ce que pensent les autres, et c'est un peu pour ça que j'ai pris la parole, pour délivrer l'avis des morts. Peut-être que je n'aurais pas dû, j'hésite même à la laisser à son recueillement, à m'éloigner, même si je reste incomprise, parce que je sens bien qu'elle eût mille fois préféré que je n'intervinsse pas. C'était trop tard pour ça, et je crois pourtant fermement qu'elle avait besoin, et le droit, de savoir ce que moi je voyais. Mais peut-être n'était-ce pas l'endroit ni l'heure. Peut-être eût-il mieux valu, même pour moi, que je la trouvasse seule dans un lieu plus discret, plus intime... et plus loin de la foule d'esprits qui se pressent ici et me mettent malgré eux en position de plus en plus délicate. Si elle ne m'avait pas scrutée de son regard étonnamment si imposant, sans doute eussé-je tourné les talons.

« Mademoiselle Delibes, veuillez me suivre dans mon bureau, je vous prie. »

Pour beaucoup, cette phrase devait avoir des airs de tocsin. Pour moi, à cet instant, c'est une délivrance, et je la suis hors du cimetière sans prêter attention aux murmures sur notre passage. A mesure que nous nous éloignons de ce qui a autrefois été le jardin bleu, l'oppression des âmes me quitte, et si mes doigts tremblent encore un peu, ma démarche se fait plus assurée. Je sens bien les regards des élèves, et les sourires des tableaux à l'approche de Madame de Courterois, mais je n'y prête pas plus d'attention que ça, plus concentrée sur la démarche de la femme devant moi, comme hypnotisée par sa grâce.

Je n'ai pas vraiment l'habitude d'être traînée dans le bureau des professeurs, et j'observe la pièce dans laquelle nous entrons. L'élégance est le maître mot ici et j'en suis quelque peu émerveillée, quoique guère surprise à vrai dire. Je ne crois pas que j'eusse pu imaginer la Directrice dans un décor réellement différent de celui-ci et quand elle s'installe dans un des fauteuils d'un petit salon à l'air confortable et me fait signe de prendre place, je m'exécute en silence. J'observe encore ses doigts graciles qui me servent un chocolat chaud à l'odeur alléchante, puis son regard, inquisiteur, posé sur moi.

« Est-ce que vous allez bien, Micaëla ? »
« Mieux maintenant que nous sommes loin d'eux. Ils étaient trop nombreux. Je n'arrive pas encore à en faire complètement abstraction. »

Je n'ose pas prendre davantage la parole, je ne sais pas ce dont j'ai réellement le droit de parler, ce que je peux ajouter sans l'offusquer davantage. Nous sommes seules à présent, mais ce que j'ai soulevé pointe du doigts des sentiments profonds, qu'elle a tous les droits de vouloir garder secret. Après tout, moi-même, je parle peu de ce que je ressens, alors à une inconnue ? Mes doigts tremblent encore un peu tandis que j'attrape la tasse qu'elle m'a servie et que je porte à mes lèvres, fermant les yeux comme pour mieux humer le parfum du breuvage avant d'en avaler une gorgée puis de reposer délicatement la tasse sur sa soucoupe.

« Je ne voulais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas... Juste vous dire ce que je voyais, ce qu'ils ressentaient... »

Je sais pourtant que cette honnêteté m'a déjà valu nombre de déboires, et qu'il y avait toutes les chances pour que ça continue. Mais je n'ai jamais pu mentir, pas à ce sujet. J'ai toujours pensé que si j'avais ce don, ça n'était pas pour rien, et que je n'avais pas le droit de le garder pour moi, qu'on me croie ou non.

***

J'observe les lieux comme on pourrait scruter une œuvre d'art. A mes yeux, le bureau de la Directrice en est une, d'ailleurs. J'ai vu d'autres pièces richement décorées, lors des mondanités auxquelles mes grands-parents nous forçaient à assister, mais elles ne m'ont jamais fait cet effet... Il y a plus de noblesse, trouvé-je, ici, que dans le salon de Grand-mère. Peut-être parce qu'il y a un peu de l'âme de Madame Courterois en ces lieux, ce qui fait cruellement défaut à la maison des me aïeux. Ils ont leur titre et leur richesse, mais ils ne savent pas voir. Ils sont capables de dépenser des fortunes pour une table ou une horloge, mais n'ont aucun goût pour les agencer, pour les faire vibrer, leur donner une âme, justement. Ici, c'est très différent. Et même si, de prime abord, je ne suis pas très à l'aise puisque ce lieu m'est inconnu, d'autant que la sortie m'en est quelque peu interdite, je le trouve plus agréable que le domaine de Bretagne que je connais pourtant par cœur.

Je goûte le chocolat chaud qui me détend un peu, pas complètement, mais suffisamment pour que mes mains cessent enfin de trembler, sous le regard inquisiteur de la Directrice. Je ne sais pas ce qu'elle voit de moi, ce qu'elle pense savoir. Je ne sais pas ce qu'elle a pu entendre à mon sujet, même si j'en ai quelques idées, ni ce qu'elle prend pour argent comptant ou ce qu'elle refuse de croire. Ce que je sais, c'est que mon don est une fois de plus au cœur de cette situation, et que même s'il fait partie de moi et que je ne le rejetterai pour rien au monde parce qu'il me lie à jamais à ma mère, il me pèse aussi, souvent. Je ne sais pas non plus si Maman a jamais évoqué à d'autres qu'aux membres de sa famille proche son propre don. Je ne sais pas si d'autres Du Pin De La Guérivière se sont illustrés ainsi par le passé, je n'ai jamais assez écouté mes grands-parents pour ça. Tout ce que je sais, c'est que, qu'on me croie ou non, ce que je dis est la vérité. Même si ça me vaut plus souvent des ennuis qu'autre chose.

Parce qu'en définitive, qui me croit, qui m'accepte, en dehors de ma famille et d'Ana' ? Je ne suis pas asociale, je continue à parler avec les gens autour de moi, mais je sens bien la distance qu'il y a entre les autres et moi, invariablement. Je ne cherche pas à être la plus populaire, de toutes les manières, mais parfois, se sentir aussi isolé est quelque chose d'assez lourd à porter. Et là, sous le regard fixe de Madame Courterois, je me sens plus seule que jamais, concentrée sur mon chocolat, incapable de goûter aux pâtisseries qu'elle a conjurées, l'estomac encore noué. Je ne sais pas ce qui m'attend, et je ne suis pas vraiment rassurée dès lors que les choses m'échappent. Il faut dire que nous avons eu notre lot de malheurs, déjà, et que l'insouciance n'est plus vraiment dans l'air du temps.

« Je vous crois, mademoiselle. Les puissances de nos esprits sont infinies et nul encore ne peut prétendre maîtriser les secrets de la vie et de la mort. Néanmoins, vous devez être consciente que tous n'ont pas nécessairement la même tolérance que moi, et que peu d'entre eux accepteront vos paroles sans sourciller. »

Je souris amèrement. Je sais bien que ce qu'elle dit est vrai, j'en ai déjà fait l'expérience, et je ne doute pas que ça continue à se produire, encore, à l'avenir.

« C'est assez rare... D'ordinaire, on me prend pour une folle, ou on croit que j'invente dans le but de faire souffrir. C'est juste que quand ils ont un message à faire passer, je n'ai pas le cœur de le leur refuser. »

Est-ce que c'est de la compassion dans son regard ? Je n'en suis pas certaine, elle arbore toujours un masque si neutre... Je ne m'estime pas si malheureuse, pourtant. J'ai quelques personnes sur lesquelles je sais pouvoir compter, et c'est ce qui m'importe le plus.

« Pour ma part, je ne suis pas capable de m'adresser à ceux qui sont morts, aussi je vous saurai gré, à l'avenir, de ne pas évoquer leurs messages ou leurs paroles avec moi. C'est un choix : la mort nous sépare, je préfère que cela reste ainsi. Dites-moi, Micaëla, depuis quand avez-vous ce... talent ? »

Je hoche simplement la tête.

« Je respecterai votre décision, Madame. »

Je ne suis pas forcément d'accord avec sa position, mais elle a le droit de refuser d'en savoir plus, c'est son choix après tout. Je suis surprise, cependant, qu'elle me pose cette question, qu'elle s'intéresse à ça, à moi, alors qu'elle pourrait simplement chercher à éviter mon contact, pour être sûre que je ne romprais pas cette promesse. Je n'ai pas besoin de réfléchir pour avoir la réponse. Je me souviens de ces jours-là, où les autres me regardaient de haut, parce que je parlais dans le vide à leurs yeux.

« Je devais avoir quatre ans quand j'ai vu un esprit pour la première fois. Et huit quand j'ai senti que quelque chose de grave allait arriver. »

Je baisse le regard. Ce jour-là non plus, je ne suis pas prête de l'oublier. C'est le jour où j'ai compris que ma tante perdrait son bébé. Le jour où ma mère a découvert mon don et m'a avoué le partager avec moi. J'avais été tellement rassurée de savoir que je n'étais pas seule...

« Ma mère avait ce don aussi. »

Je n'utilise pas le passé pour rien, mais je n'ai pas vraiment ni l'intention, ni besoin d'en préciser davantage. Ca n'est pas vraiment un secret qu'elle est morte, et certainement pas auprès du corps enseignant de l'école. Je ne crois pas qu'on sache, cependant, que j'étais là quand c'est arrivé... Enfin... C'est sans doute assez paradoxal pour quelqu'un comme moi d'avoir encore des trémolos dans la voix à l'évocation du décès de ma mère. Pourtant, même si je peux encore lui parler lorsque je prends le temps de le faire, ce n'est pas comparable. Elle n'est plus vraiment là, elle ne me prendra plus dans ses bras pour me consoler, je ne la retrouverai plus aux prochaines vacances, je ne peux pas vraiment avoir de grande discussion mère-fille avec elle. Cinq ans se sont écoulés, et pourtant, je n'arrive pas à rester sereine même si je n'ai pas rompu complètement le contact. C'est risible, après tout ce que nous avons traversé l'an passé, après les pertes que nous avons essuyées. Nous. Les autres plutôt. Ma famille a été épargnée, et c'est une chance que je ne dénigre pas, tout comme je ne minimise pas la peine des autres. Mais c'est plus fort que moi, elle me manque terriblement.

***

Je ne me suis jamais considérée comme particulièrement traumatisée par mon don, pas par lui en tout cas. Mais je dois bien avouer qu'il y a souvent des passages difficiles, et que le regard des autres me pèse, parfois. Souvent, même. Mais je ne peux rien y faire. Et au final, ce n'est pas ce qui me fait le plus de mal. J'ai mes cousins auprès de moi, et quelques amis malgré tout. Des gens à qui je sais pouvoir faire confiance et qui me soutiennent, me comprennent du mieux qu'ils peuvent, même s'ils ne possèdent pas mon don. Mais ce qui me fait le plus de mal reste la disparition de ma mère, la seule qui pouvait réellement comprendre ce que je vivais. Et quand la Directrice me donne son conseil, j'esquisse un sourire douloureux.

« Si je puis me permettre un conseil, chère enfant, faites-vous oublier. Du moins quelques temps. Vos camarades semblent rejeter votre don et je ne voudrais pas que vous en souffriez plus que vous ne l'avez déjà fait. »

Me faire oublier. N'est-ce pas déjà ce que je fais la plupart du temps, enfermée dans mon monde, dans mes rêves, dans mes toiles et ma musique, coupée de autres pour ne pas leur imposer davantage ce don qu'ils ne comprennent pas ? Je ne peux pas renier cette partie de moi, même si je ne la crie pas sur les toits. Et refuser de transmettre un message, je n'ai jamais pu m'y résoudre. J'en ai encore un à faire parvenir, d'ailleurs, mais le destinataire n'est pas resté cet été, et je crains que la rentrée ne soit guère propice à accomplir mon oeuvre. Il faudra bien que j'y parvienne, un jour ou l'autre, car je ne cesse d'y penser. En attendant, je continue à vivre, comme je l'ai toujours fait, me reposer sur l'amour de ma famille à défaut d'avoir l'amitié du nombre et la popularité de certains ici.

Un instant encore, je songe à Shane, qui ne cesse de me poursuivre, et que mon don rebuterait peut-être. Combien de fois ai-je bifurqué dans un couloir à son approche ? Je ne m'en souviens plus. Je sais seulement que je crains chaque jour qu'il ne m'aborde encore, sans que je sache comment l'éloigner de moi. Ce n'est pas qu'il est repoussant en soi, loin de là, c'est plutôt un beau garçon. Mais sa façon d'être et mon attachement pour Cygnus m'empêchent de l'apprécier. Je redoute chacune de ses approches, ignorante que je suis de ces démarches amoureuses. Mon coeur bat pour un autre, mais je doute fort que la réciproque soit vraie. Il ne m'a jamais vraiment remarquée, contrairement au blondinet qui me harcèle. Pourquoi a-t-il fallu que ce soit à lui que je m'attache ?

« N'y a-t-il personne, dans les amie de feue votre mère, ou bien dans votre famille, qui saurait vous aider à appréhender votre... talent ? »

La voix de la directrice me tire de mes pensées, et je secoue la tête.

« La famille de mon père n'a jamais montré de talent particulier autre que pour la musique, et ma grand-mère n'a pas ce don. Mes frère et soeur, mes cousins, savent, mais sont aussi démunis que moi. Et je ne connais personne qui soit médium. »

Je baisse la tête, un instant songeuse, puis hausse les épaules.

« Je m'en sortirai. Et puisque vous me le demandez, je tâcherai de me faire plus discrète encore que d'ordinaire à ce sujet. »

De toute façon, pour bon nombre, je suis déjà invisible. Même pour la personne que je voudrais intéresser. Alors un peu plus, un peu moins... J'ai le sentiment de me renier, de renier mon don et ma mère. Et je n'aime pas ça. Mais c'est l'ordre, plus que le conseil, de ma directrice, je le perçois ainsi, et je n'ai guère d'autre choix que de m'y plier. Et finalement, même quand elle quittera l'académie, j'essaierai de tenir parole... Même s'il restera quelques personnes, avec qui je ferai des exceptions...
Revenir en haut Aller en bas
 

07. Enjoy the silence ♫ ft. Penelope I. De Courterois

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut 
Page 1 sur 1

 Sujets similaires

-
» 44. Le bal masqué ♫ ft. people
» 59. Don't leave me behind ♫ ft. noone
» 09. Cause we all need explanations ♫ ft. Caliane
» 26. Le bal du clos du lys ♫ ft. people
» 58. Le bal de la Renaissance ♫ ft. people

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Fiona's Laboratory :: RP&co :: Holly :: Micaela - Vulnera Samento-