« Mais qu'est-ce que j'fous là... »

C'était très exactement la question que je me posais à cet instant. N'étais-je pas en train de jouer du violon dans mon dortoir à l'instant ? Qu'est-ce que je pouvais bien faire dans ce qui ressemblais à une petite chaumière ? On se serait cru chez une petite grand-mère anglaise, avec le thé et les gâteaux... On était où, réellement ? Parce que je n'étais pas seule. Ces mots, ils venaient de la bouche d'une autre élève, dont je n'avais pas saisi le nom, sans doute parce que, pour changer, j'avais été dans la lune...


Mystère un résolu, la fille s'appelle Amelia. Je notais ça dans un petit coin de ma tête, même si ça ne répondait pas à la question principale : où étions-nous ? Je fis le tour de la pièce des yeux, une nouvelle fois, sans parvenir à reconnaître quoi que ce fût en ces lieux. Je n'étais, à l'évidence, jamais venue ici.

« Qui veut du thé ? Je ne sais pas comment nous avons atterri là, mais autant en prof… »

Ma cousine était là, donc. Au moins n'étais-je pas en compagnie que d'inconnues. Je lui adressai un sourire, assez d'accord avec son avis, et me tournais vers l'âtre. La théière sifflait sur le feu et machinalement, je l'en délogeai pour la poser sur la table basse, près des gâteaux qui m'attiraient grandement. Je tendis d'ailleurs la main vers l'un d'entre eux, contre toute précaution, et mordis délicatement dedans. D'accord, on n'était pas chez nous, c'était sans doute malpoli, mais je n'avais jamais pu résister aux sucreries et autres douceurs. Ma mésaventure avec certains bonbons se rappela pourtant à mon bon souvenir, et je reposai la moitié de biscuit restante sur la table, m'essuyant les lèvres du revers de la main, déjà prête à subir je ne savais quel coup du sort... Qui provint plutôt de l'extérieur.

« Petit cochonnet, petit cochonnet, laisse-moi entrer ! »

C'était très exactement ce qui me donnait envie du contraire. Cette voix, j'ignorais à qui elle pouvait appartenir, mais elle me fit frissonner. Contrairement à Amelia, qui elle, éclata de rire, de même que Rosa. Personnellement, je ne voyais pas très bien ce qu'il y avait de drôle là-dedans. D'accord, c'était une réplique digne d'un conte, et le rire est parfois un exutoire au stress, mais pour ma part, je restais trop inquiète pour m'y adonner. Et quand une hache s'abattit lourdement sur la porte, l'éventrant sans peine, je sus que mon sentiment était fondé. Je n'aimais pas ça, mais alors pas du tout. Je ne pouvais pas l'expliquer, mais je sentais que ce n'était pas tout, que nous n'avions pas encore vécu le pire. Qu'on aurait encore d'autres mauvaises surprises.

« Ce truc est un fou furieux, je sais pas pour vous mais moi j'ai bien envie de me faire la malle ! »

Ca, c'était le moins qu'on pût dire. Et j'étais tout à fait d'accord avec l'idée de quitter cet endroit et de mettre le plus de distance possible entre le bûcheron fou et nous.

« Et bien je soufflerai, et je gronderai, et ta maison s’effondrera ! »

« Je ne sais pas vous, mais moi je n'ai pas vraiment envie de savoir s'il est capable de souffler aussi fort... »

Je ne m'adressai à personne en particulier, mais je crois que tout le monde partageais mon avis. Mon angoisse ne s'apaisait pas, pour autant, et sans doute qu'elle ne disparaîtrait pas tant que nous serions près de ce malade. Elle ne fit que monter d'un cran quand je vis ma cousine se saisir de sa baguette, sans succès. Pourquoi n'étais-je pas plus étonnée ? Un malheur n'arrive jamais seul, dit-on, nous avions droit au fou furieux et à l'absence de magie. Ca n'annonçait rien de bon. Par acquis de conscience, je tentais à mon tour d'utiliser ma baguette, mais tout comme pour Rosa, ce fut un échec total.

« Par la barbe touffue de Merlin ! C’est quoi ce bordel ? »

Bonne question, à laquelle je n'avais pas de réponse à apporter, aussi gardais-je le silence. Comme ma cousine, je fis le tour de la pièce des yeux, et m'approchai d'une fenêtre (en espérant qu'il y en ait quand même une...). Il fallait qu'on sorte, et il ne fallait pas qu'il nous voie. Il fallait...

« L’armoire ! Devant la porte ! »

Oui, ça aussi. Je m'approchai alors à mon tour, et, malgré ma force physique toute relative, fis mon possible pour l'aider à pousser le meuble en travers de la porte. Retarder au maximum l'entrée du type pour nous donner le temps de sortir. Ensuite il nous faudrait courir, le plus vite possible. Je n'avais aucune idée de ce qu'on trouverait au dehors, mais rien ne me semblait vraiment pire que de nous retrouver nez à nez avec l'homme à la hache.

***

Je n'aimais pas cette situation à laquelle je ne comprenais pas grand chose. Comment nous étions retrouvées ici ? Comment se faisait-il que nos baguettes à toutes les quatre ne réagissaient plus ? C'était impensable, et je n'avais qu'une envie, disparaître et me retrouver à l'Académie dans l'atelier ou la salle de répétition. Mais j'avais beau espérer, c'était peine perdue, il nous fallait sortir d'ici, par nos propres moyens. Maigres moyens. J'écoutais les unes et les autres, sans savoir à quoi me raccrocher.

« Y a bien quelque chose ici qui peut nous aider... »

J'espérais qu'elle avait raison, mais j'avais beau comme elle faire le tour de la pièce, aucune idée de génie ne traversait mon esprit. La porte était bloquée, c'était une chose, mais nous étions coincées à l'intérieur, et cela ne nous offrait qu'un cours répit.

« Et si la seule sortie était cette porte? ... Il faudrait alors attendre qu'il rentre... Et si on lui tendait un piège ? »

L'idée n'était pas plus mauvaise qu'une autre. Quel piège, cependant ? Il y avait le feu, et le thé brûlant. Le tisonnier aussi. Y avait-il d'autres armes improvisées dans la pièce ?

« Va pour le piège ... Vous pensez qu'il préfèrerait les gâteaux aux petits cochons qu'il pense trouver à l'intérieur de la chaumière ? On peut toujours le faire entrer et lui balancer du thé bouillant en pleine face, ça l'arrêterait un moment et nous laisserait certainement le temps de nous enfuir ... »

Les gâteaux ? J'en doutais. Le thé par contre, oui, j'étais bien d'accord que ça pouvait servir.

"Réfléchissons, calmement. Pour l'instant, il est dehors, et nous dedans. Ce n'est, certes, pas idéal. En plus, nos baguettes ne fonctionnent plus. Une potion pourrait-elle fonctionner ? Y a-t-il un moyen d'en faire une, le cas échéant ?"

Je secouai légèrement la tête. La potion nécessitait des ingrédients, du temps, et parfois même nos baguettes. Tout ce dont nous manquions cruellement.

"Oublions la potion. De toute façon, ce serait trop long à faire."

Sur ce point, ma cousine et moi étions tout à fait d'accord.

"Il faut trouver quelque chose pour le faire trébucher, et autre chose pour l'assommer..."

Encore une fois, j'acquiesçai de de la tête, attrapant d'ores et déjà une bûche que je tendis à ma voisine la plus proche.

"Bon... Un tisonnier, une théière, des buches. On a l'embarras du choix pour l'assommer. Des draps pour le faire trébucher. Qui fait quoi ? Il va falloir qu'on bouge à nouveau l'armoire, par contre, mais qu'on se coordonne bien pour qu'il ne puisse pas nous prendre par surprise. Je suggère que deux d'entre nous tiennent le drap pour qu'il se prenne les pieds dedans, une autre l'assomme avec un truc chaud, et la dernière, soit se prépare à finir de l'assommer, soit se prépare à le ligoter. Vous en pensez quoi ?"
"Qu'on a pas vraiment de meilleure solution."

Sortant de mon mutisme, je laissai les filles prendre les armes, et guidait ma cousine vers les draps.

"On ne pourra pas mettre en place le piège et retirer l'armoire, elle est trop lourde. Mais on peut la vider, de sorte qu'il n'ait qu'à la traverser, vu qu'il a déjà commencé à tailler dedans avec sa hache."

Je joignis le geste à la parole et attrapai les draps que je jetai sur le côté, jusqu'à vider l'armoire dont je refermai les portes pour que le bûcheron ne nous voie pas par les entailles qu'il y pratiquait. Un drap dans les mains, j'entrepris le rouler et vérifiai sa longueur pour qu'il traverse l'entrée de part en part.

"Tiens Rosa. Armez-vous les filles. On n'a plus beaucoup de temps."

Et comme pour confirmer mes dires, le son du bois que la hache faisait craquer retentit derrière moi, lugubre.