Si nous nous étions finalement retrouvées lors de la course aux livres, ça avait été un pur hasard. A l'origine, nous avions simplement convenu d'aller ensemble chez Mme Guipure pour nos uniformes, et de nous débrouiller séparément pour le reste. Je prévoyais d'ailleurs de passer chercher un nouveau chaudron, quelques fioles et des plumes et parchemin avec Eve, que j'avais revue à la fête organisée par Rosa, puis lors de l'inauguration de la stèle ici. Pour l'heure, cependant, c'était ma soeur de coeur que je rejoignais, et je m'en voulais d'être tout juste à l'heure.

Tout juste ? C'était sans compter sur les coups du sort, malheureusement, et sur ma propension à me fiche malgré moi dans des situations impossibles. Et ce qui ne devait être qu'un passage rapide à l'animalerie pour caresser deux, trois bestioles avait pris bien plus de temps que prévu. Bon, en définitive, je ne m'en plaignais pas trop non plus : mon escapade là-bas m'avait certes valu de chercher pendant un bon quart d'heure une ratoune espiègle qui ne souhaitait manifestement pas rentrer dans sa cage, mais aussi permis d'en faire l'acquisition et je cherchais un nom à ma petite compagne en marchant d'un pas pressé vers la boutique de vêtements. La boule de poils sur mon épaule, étrangement à l'aise agrippée à mon gilet rose, je pénétrai dans la boutique, surprenant une conversation au loin.

« J’ai un rendez-vous ce soir, avec l’homme le plus beau qui existe sur terre… Et je veux lui plaire. »

J'ignorais alors que cette voix inconnue s'adressait à ma cousine et arpentai les allées à sa recherche quand ce fut bel et bien la voix de Rosa que je reconnus, non loin de moi, avant de la voir. Je contournai un portique pour tomber nez à nez avec une vieille dame au physique ingrat qui faisait face à ma soeur de coeur.

« Bon… D’accord… Mmmh… Vous préférez quoi, comme couleurs ? »

Je m'approchai alors, et tendis la main vers la femme, songeant qu'il serait effectivement assez délicat de faire en sorte qu'elle plaise à quelqu'un.

« Bonjour, je suis Micaëla, sa cousine. »

J'observai la vieille femme avec circonspection, réfléchissant à voix haute.

« Je proposerai plutôt des couleurs sombres et sobres pour garder un côté class' et des coupes fluides pour allonger la silhouette, et peut-être une touche de couleur pour... donner un peu plus de chaleur. Du rouge ça donnerait un côté plus dynamique et sensuel. Ou du rose pour la douceur. Ou encore un jaune ou un orange vif pour vous faire paraître encore plus jeune... »

Le "encore" n'était pas tout à fait honnête, elle ne faisait pas jeune du tout, mais j'avais dans l'idée que froisser sa susceptibilité n'était sans doute pas très conseillé, et j'essayais de venir en aide à Rosa, pas de l'enfoncer...

***

Il faudrait sans doute que j'explique à ma cousine mon retard, pas tout à fait volontaire. Certes, j'avais fait un détour par l'animalerie, mais après la course aux livres, j'en avais réellement besoin. Impossible de retrouver mon calme naturellement, il m'avait fallu la compagnie des animaux. Ca ne valait pas les palominos de l'école, mais c'était toujours mieux que rien. Et Brontë me rendait bien l'affection que je commençais à lui porter. Même si je réalisais à présent un point du règlement que j'avais complètement occulté jusque-là. Mince... Pas de rongeur à l'Académie. Comment allais-je faire mon compte ? J'étais trop médiocre en métamorphose pour parfaitement la transformer en oiseau et brouiller les pistes... Il faudra qu'on en parle avec Rosa... Quand on serait débarrassées de l'énergumène qui nous demandait de l'habiller.

« Je suis d’accord avec ma cousine. Le noir est une couleur des plus chic au monde, et cela peut se porter avec tout, en plus ! Vous pouvez aussi bien décider de le porter avec du rouge un jour, qu’avec du jaune le lendemain ! Il n’y a rien de mieux. Ca va à tout le monde, et sa affine la silhouette… »

Je sentais autant que ma cousine qu'elle venait de prononcer les mots qu'il ne fallait pas. Je n'eus même pas le temps de prier pour qu'elle rattrape le coup ou d'ouvrir la bouche pour le faire pour elle, la femme réagissait au quart de tour.

« Vous sous-entendez que je suis grosse, c’est bien cela ? »
« Non ! Non ! bien sûr que non ! Je parlais dans les généralités ! Je vous expliquai, simplement, les propriétés du noir ! »

Pour ma part, comme la femme avait sorti sa baguette, j'avais posé la main sur la mienne, prête à défendre Rosa. On ne touchait pas à ma famille. J'étais d'un naturel plutôt doux et pacifique, mais j'étais prête à défendre les miens coûte que coûte cependant. S'il y avait bien une chose que je ne pouvais pas tolérer, c'était qu'on leur fasse du mal. Qu'on s'en prenne à moi, je m'en fichais, mais qu'on touche à un seul cheveu de Flo, Rosa, ou Nath, et je fonçais dans le tas, à la surprise générale, d'ailleurs, vu que ce n'était pas dans mes habitudes. Fort heureusement, ma cousine avait dû trouver des mots apaisants : notre fardeau rangeait sa baguette.

« J’aime mieux ça… »

« Moi pas », songeai-je, les sourcils légèrement froncés, comme Rosa m'abandonnait pour farfouiller dans les grandes tailles noires.

« Rosa a un goût très sûr », m'entendis-je affirmer, pour ne pas laisser le silence s'installer. « Vous allez être ravie, vous verrez. »

Je détestais ça. Personnellement, et peu charitablement, je songeais que cette femme était aussi laide à l'extérieur qu'à l'intérieur, et que rien ne pourrait y changer quoi que ce soit. Et pire encore, elle commença à me raconter sa vie et sa rencontre avec l'homme avec lequel elle avait rendez-vous ce soir. Je n'en avais strictement rien à faire. De n'importe quelle petite vielle, j'aurais trouvé ça touchant, mais cette femme avait touché à ma famille, ou tenté de le faire en tous les cas, et ça, je ne le supportais pas. Je me forçais au calme, lui dédiant parfois un sourire, hochant la tête par épisode pour feindre l'intérêt et jetant parfois un coup d'oeil en direction de ma cousine.

« Elle en met du temps tout de même… »

La petite vielle maugréait et moi je sentis les ennuis revenir au grand galop.

« C'est qu'elle cherche la tenue parfaite, vous savez. Il y a nombre de jolies tenues dans cette boutique, mais il vous faut LA robe, n'est-ce pas ? »

La seule qui pourrait jamais lui aller, songeai-je encore, sans pour autant l'affirmer à voix haute. Et une nouvelle fois, je jetais un regard en direction du rayon où se trouvait Rosa, priant pour qu'elle arrive à trouver quelque chose de potable et qu'on puisse sortir de là rapidement...