Floriant m'en avait parlé, et je dois dire que même si je concevais le côté pratique notamment en ce qui concernait sa vie privée, mais aussi pour la dissimulation de Leyna, ne plus avoir ma cousine dans le dortoir avec moi me crevait le coeur. Je ne pouvais pas l'en blâmer, je savais qu'elle accepterait, mais même si je savais qu'il le fallait, ça perturbait mon petit monde et mes habitudes, et je n'aimais pas ça. D'autant qu'en ce moment, je me posait nombre de questions, et que j'aurais bien eu besoin de son soutien, parfois au milieu de la nuit. Je me doutais bien qu'elle m'assurerait que sa porte resterait ouverte, même si je n'avais pas encore reçu son petit mot, mais ce ne serait plus pareil.

Même si, quelque part, les choses n'étaient déjà plus pareilles. Parce que cacher Leyna, c'était assez déroutant. J'avais tout de suite accepté l'idée, parce que je ne pouvais décemment pas ne pas lui venir en aide et la livrer aux autorités, mais ça me posait un drôle de cas de conscience : moi qui détestais les affrontements, je m'étais portée volontaire pour traquer ceux qui nous avaient fait tant de mal. Et voilà que, pourtant, je protégeais un membre de l'OS. Mais c'était Leyna, c'était... différent. Je ne pourrai sans doute pas l'expliquer si quelqu'un venait à découvrir le pot aux roses, mais elle ne pouvait pas être comme les commanditaires de l'organisation. J'étais certaine qu'elle n'avait été qu'un pion et qu'on avait profité de son trouble psychique. D'ailleurs ça aussi, c'était assez déroutant, même si j'avais résolu de n'en rien laisser paraître. Je faisais comme si elle était toujours Leyna, celle que nous avions connue, tentais de faire abstraction de cette autre personnalité qui avait pris le dessus. Mais ce n'était pas toujours facile.

Et en l'absence momentanée de ma cousine, c'était à moi qu'incombait la charge de lui procurer de quoi subsister, tapie qu'elle était dans les bois. C'était ce pourquoi j'étais sortie, d'ailleurs, pour lui apporter quelques vivres que j'avais chipés aux cuisines. Et l'orage ? Ca ne m'avait jamais effrayée, loin de là. J'aimais la pluie, j'aimais entendre le tonnerre et observer les éclairs. Ca n'était ni la première, ni certainement pas la dernière fois qu'on me verrait sortir par un temps pareil, et je suppose qu'on mettait ça sur le compte d'une autre de mes bizarreries. Ca m'était égal, et, en l'occurrence, ça m'assurait un voyage plus discret jusqu'à Leyna.

J'avais fait un détour par les écuries, songeant que j'avais bien le temps d'aller voir les abraxans avant de retrouver la fugitive, et j'avais, sans doute, un peu trop traîné en route, cependant, à rêvasser comme il m'arrivait souvent de le faire, car la pluie commençait à s'atténuer et quand je parvins à l'orée des bois, elle s'était complètement arrêtée. Et la silhouette de ma cousine se découpait à quelques dizaines de mètres devant moi. Je pressai donc le pas, pour la rattraper, quand elle arriva auprès de notre protégée. Et même s'il avait disparu, même si je n'avais pas pu le voir et que j'ignorais son identité, je sentis que quelqu'un était passé par là. Qu'un esprit avait imprégné les lieux, peut-être peu de temps avant notre arrivée. J'ignorais son but, le lien qu'il pouvait avoir avec Leyna, ses intentions mêmes. J'ignorais s'il reparaîtrait en ma présence ou non. J'ignorais si elle en parlerait, bien que je suppose que non. Mais j'étais certaine de sa présence en ces lieux, à plus ou moins brève échéance. Et c'est cet esprit que je recherchais finalement, plus que notre protégée qui invectivait déjà ma cousine.

« Rosa…alors, on va faire sa bonne action en venant aider la malheureuse Leyna ? Tu te sens comment Rosa… ? Tu te sens mieux, plus en paix avec toi-même… ? Ca disparaîtra ma douce…pour se sentir bien, il vaut mieux supprimer ce qui nous fait du mal… »

Je ne comprends pas ce besoin d'être méchante qu'elle ressent, mais je sais aussi que ce n'est pas elle. Que c'est cet autre moi qu'elle a créé pour se protéger. Et je refuse de le laisser gagner, de voir Leyna disparaître à son profit. Alors c'est toujours à elle que je m'adresse, en déposant les victuailles que j'ai amenées non loin d'elle.

« Qu'importe la raison, nous sommes là, et tu as de quoi te nourrir, Leyna. Et j'ai préparé quelques onguents pour tes blessures, mais je doute que tu puisses les appliquer seule... »

Tout comme je doute qu'elle accepte que nous la touchions.

« Et ce n'est pas l'esprit qui vient de disparaître qui pourra le faire, non plus. »

Je n'ai jamais vraiment caché mon don, même si je ne le crie pas sur les toits d'ordinaire. Mais Ley' me hait déjà, alors un peu plus, un peu moins...