Je ne sais plus trop comment prendre les choses, c'est clairement le bordel dans ma tête, et on ne peut pas dire que les dérèglements de mon don m'aident beaucoup. Bien au contraire. Je suis perdue, complètement, et même quand je pense que ce que je vois, ce que je vis est la réalité, je doute. Et les semaines passent trop vite. Je ne sais plus vraiment quel jour on est, je passe mon temps à poser la question à Rosa, à Flo, à Nath parfois quand j'arrive à le croiser. Noël approche, et je veux faire les choses bien, malgré tout ça, pour ma famille, et mes amis. Wade et Evangeline, en l'occurrence, même si à vrai dire, je ne sais pas ce qu'ils pensent réellement, de leur côté. Après l'incartade avec le fantôme qui s'est bien amusé à me faire tourner en bourrique en me dérobant Brontë, j'ai le sentiment de m'être rapprochée de l'Hypnos, mais... Je n'ai aucune idée de ce qu'elle pense, elle. A vrai dire, je me suis un moment demandé si tout ça, les mots bizarres que je l'ai entendue prononcer, la vision qu'elle a pu avoir de mon don, l'agression des filles et l'arrivée intempestive de la Licorne qui nous a poussés vers sa salle commune en catastrophe, où j'ai fait la rencontre d'Alastair, si tout ça n'était pas un rêve, donc. Un autre, un de plus. De tous ceux qui semblent tellement réels et qui pourtant n'existent que dans ma tête. Je n'ai pas osé leur poser la question. Je n'ai pas osé reparler de tout ça, de nos souris autant que de la tendresse du britannique quand il m'a... ramassée. Est-ce que j'ai rêvé ça ? Est-ce que j'avais tellement envie qu'il soit prévenant avec moi que j'ai inventé tout ça, juste pour avoir l'illusion qu'il l'avait vraiment fait ? Mais si j'avais tout imaginé, il n'aurait pas empesté l'alcool, n'est-ce pas ? Je m'arracherais presque les cheveux, là, tellement je suis paumée.

N'empêche que je ne veux pas passer à côté de Noël. Ca a toujours été une fête importante pour moi, pour ma famille, et je ne compte pas déroger à la règle. Dès que j'ai un moment de libre, c'est à ça que je consacre mon temps : trouver quelque chose, pour chacun d'entre eux. Rosa et Flo, et Nath et Ophé (même si je m'attends un peu à ce qu'elle me le fiche en pleine tronche), et Wade et Eva, ici. Mon père, évidemment. Je ne sais pas si j'aurais l'occasion de croiser les routes d'Adam et Evangelyna, mais c'est prévu dans ma tête aussi. Je sais aussi que je marquerai le coup pour mes grands-parents maternels, sans grande conviction... Ils ont réussi à faire fuir Gaël, c'est dire si mon ressenti envers eux s'arrange... Mais ils restent ma famille. Bref. J'ai passé des jours à plancher dessus. Et le premier qui m'a sauté aux yeux, ça a été – étrangement – pour mon jumeau.

Sauf que maintenant que c'est fait, je n'ai pas le courage de lui donner cette toile, toute de rouge et de rose, mêlant de façon assez abstraites des roses et des éclairs stylisés. Comme je n'ai pas encore osé remettre à Ophélia le kit d'entretien pour son matériel de Quidditch. Je me demande si ça en va pas finir en paquets à leur attention laissés devant la porte de leur commune, sans plus. Je trouverai sans doute quelque chose de bateau pour les grands-parents, un grimoire ou n'importe quoi du monde sorcier, de toutes les manières, ils n'en auront rien à faire. Et j'ai trouvé de vieilles partitions qui ne sont plus éditées pour Flo, des compositeurs qu'il aime le plus. Pour Rosa, on s'est mis d'accord tous les deux pour lui offrir des cours de nos instruments, après que pour la énième fois, on l'a entendu soupirer que la guitare avait toujours l'air moins noble que le piano ou le violon. J'ignore encore que dans peu de temps, il coupera court à ses leçons, puisqu'elle et moi n'appartiendrons plus à son monde, comme il dira. Je pense que je n'aurais pas trop de mal à remettre à Evangeline le livre de Margery Sharp, intitulé The Rescuers, que je lui ai acheté, et où j'ai simplement écrit sur la deuxième de couverture Alastor && Brontë. Si j'ai rêvé notre après-midi mouvementée, elle ne comprendra juste pas, ça sera juste un roman comme les autres. Si c'était la vérité, elle comprendra l'allusion. Et j'espère que ça lui plaira. Ce dont je suis encore moins sûre par contre, c'est des deux derniers paquets, identiques à l'exception du nom indiqué dessus. Ou plus exactement, de l'un des deux, parce que je ne doute pas une seconde que mon père apprécie l'enregistrement réalisé magiquement de ses morceaux de violon favoris, que j'ai moi-même interprétés. Mais... Est-ce que ça lui plaira ? Est-ce que ça n'est pas juste absolument ridicule ? Et si ça se trouve, le choix des morceaux est affreusement loin de ses goûts et...

Ces questions, je les ai tournées en boucle des dizaines, des centaines de fois. Au final, j'ai effectivement laissé la toile et le kit de Quidditch devant la commune des Zeus, de même que le livre joliment emballé est resté devant la porte de celle des Hypnos. Le grimoire de runes druidiques et le colis pour Papa sont partis par hibou, tandis que les cadeaux de mes cousins leur ont été remis en main propre – j'avais préparé un parchemin de « bons pour des cours de violons et de piano » pour Rosa, histoire qu'elle ait quelque chose à décacheter. Je trouverais plus tard pour Adam et Evangelyna, c'est ce que je me suis promis. Quant à Wade... Je n'ai, juste, jamais eu le courage de lui offrir, et le paquet reste toujours bien caché dans ma commode, des semaines après encore...