Le bal du clos du lys. A la base, je ne voulais pas y aller. Mais mon cousin a décidé qu'il serait mon cavalier pour que j'y mette obligatoirement les pieds, et donc, je n'ai pas eu le choix. Je ne peux rien lui refuser, il le sait bien. J'ai galéré pour trouver une tenue adéquate et pour me décider à sortir de mon dortoir ainsi accoutrée (non décidément, je n'aime vraiment pas les décolletés et les jupes archi-courtes, mais je peux difficilement venir à un bal sur le thème des années folles vêtue comme une hippie...). Pour être tout à fait honnête, la robe jaune à franges que j'ai choisie ne me va pas si mal, c'est juste que je n'arrive pas à accepter qu'on voie autant de ma peau... J'ai passé un temps fou à me regarder dans le miroir, à tirer dessus et à hésiter. Jusqu'à ce que je sois en retard, alors que je suis finalement prête depuis une bonne demi-heure, et que je quitte ma chambre en trombe pour rejoindre Flo, mes talons argentés claquant au sol.

Son compliment me va droit au coeur, même si je sais qu'il n'est vraiment pas objectif. Nous sommes très proches, nous l'avons toujours été ou presque, et il ne peut évidemment pas se montrer trop critique. Mais je suis flattée malgré tout : moi je ne me trouve pas aussi jolie qu'il le dit, et même si, sur place, finalement, tout le monde est logé à la même enseigne, je trouve certaines tenues bien plus adaptées à la morphologie de leur détentrice que la mienne. Même celle de Zeppelin lui va comme un gant, alors qu'elle est... disons adaptée au personnage plus qu'à la réalité historique. Flo est près de moi, cela dit, et je fais mon possible pour ne pas me montrer trop embarrassée. Et quand j'entre sur la piste de danse, le reste n'a plus d'importance, de toute façon. Je danse toute seule et je m'en fiche, il n'y a plus que la musique pour moi à ce moment-là.

Et puis j'ai l'agréable surprise de voir mon frère, au bout d'un moment. Jamais je n'aurais osé lui demander de venir avec moi, d'autant que je suis certaine qu'il a toutes les opportunités possibles d'être accompagné par une jolie fille, il est suffisamment rayonnant pour ça, mais quand je le croise au buffet lorsque je me décide à me rafraîchir un peu, un sourire flotte sur mes lèvres. Je ne sais jamais trop comment me comporter avec lui, mais j'ai promis que je ferai des efforts parce qu'on est jumeaux et que, finalement, quand on est tous les deux à BeauxBâtons, ça ne se passe pas aussi mal que quand on est chez nos grands-parents, alors je suis près de lui, un verre de soft à la main quand quelqu'un arrive affolé et annonce qu'on a retrouvé un élève au bord de l'agonie dans l'observatoire.

J'imagine tellement bien la scène que j'en ai déjà le coeur au bord des lèvres alors que j'attrape la main de mon frère pour me diriger vers le lieu du crime. Je n'ai rien d'un grand détective, au fond, mais je ne peux pas rester là sans rien faire. D'autant que j'ai le sentiment confus que c'est très important, et je n'ai vraiment pas l'habitude de laisser passer les choses que mon don peut me faire ressentir, quelles qu'elles soient et même si ça m'attire des ennuis. Alors je cours, mon frère auprès de moi, et quelques autres élèves sur les talons, dont Vahon que j'ai croisé une nuit dehors. Un des rares à savoir pour Brontë, d'ailleurs...

***

Tout le temps que j’avais été sur la piste de danse, j’étais tellement dans mon monde que je n’avais pas repéré V. Si je l’avais vu, je crois que j’aurais peut-être pu repérer son malaise, et éventuellement m’incruster pour le libérer un peu de la fille qui n’avait pas réussi à l’intéresser et qui n’avait sans doute même pas essayé. Avec l’Hypnos, nous avions passé une soirée… particulière… à observer les étoiles, surtout, mais à discuter. Pour ma part en tout cas. J’avais encore un peu de mal avec l’idée que j’avais pu lui dire autant de choses personnelles, mais je ne pouvais pas revenir en arrière, n’est-ce pas ? C’était ce que je me répétais depuis lors, mais j’avais quand même fait mon possible pour ne pas le croiser trop souvent, inquiète de sa réaction à mon égard ces derniers jours. Pour l’heure, je tenais la main de mon frère, sans trop m’en rendre compte au départ. C’était venu naturellement, comme à la fête foraine, comme lorsque nous étions petits. Et si le contact physique avec Vahon m’avait mise mal à l’aise l’autre soir, celui avec mon frère me ramenait à un temps que je pensais révolu et qui me rassurait quelque peu. Je n’avais pas encore eu l’occasion de commenter sa mise, et ça n’était, alors, plus tout à fait le moment, mais je me promis de le faire… plus tard. Et au risque de voir ma propre tenue commentée alors que ça avait toutes les chances de me mettre mal à l’aise, mais passons.

Pour l’heure, ce qui m’accaparait, c’était cet élève qui avait été agressé. J’ignorais qui il était, j’ignorais son état, j’ignorais même pourquoi j’étais venue là, dans quel but. Après tout, je n’étais ni médecin ni enquêteuse, n’est-ce pas ? Je n’avais donc pas de raison d’être sur place, comme la plupart d’entre nous d’ailleurs.

« Reste derrière, c’est peut être pas la peine de te traumatiser… »

Je hochai simplement la tête, pas très certaine, en effet, de vouloir voir le carnage en détail. J’imaginais déjà bien suffisamment la chose, à vrai dire. Et j’avais déjà vu quelqu’un mourir, je n’étais pas pressée d’être témoin de ça une fois encore… Et comme je détournai la tête, mon regard tomba sur V. J’esquissai un sourire, l’invitant d’un signe de la main à me rejoindre, sans songer un instant qu’il était peut-être accompagné.

Comme il approchait, je me décidai à observer les alentours, en évitant consciencieusement le corps, et remarquai le concierge et les deux élèves déjà là avant nous. Un Hypnos et un Athéna que je repérai à leurs couleurs. Quand Vahon arriva à ma haueur, je lui suggérai sur le ton de la confidence.

« Regarde, il y a quelqu'un de ton écurie là... Tu crois que tu peux aller le voir et en apprendre un peu plus sur ce qu'il s'est passé ?… »

Je songeai alors que l'autre était d'une faction disons ennemie et attirai alors l'attention de mon frère en serrant un peu plus sa main.

« Nath', tu crois que tu peux aller poser quelques questions à l'Athéna ? Je vais aller voir l'Hypnos avec V. »

D'un signe de tête, je désignai l'autre blond avant de presser le pas pour le rejoindre.

« Attends, je viens avec toi ! »

En quelques enjambées, je le rattrapai et m'approchai avec lui de l'Hypnos, certaine que si j'étais restée avec mon jumeau, j'aurais ruiné ses chances d'obtenir quelque réponse utile.

« Euh… Salut... » fis-je au supposé témoin. « Tu sais ce qu'il s'est passé ? »

Pas très sûre de ne pas avoir fait une bourde en entrant dans le vif du sujet, je jetai un coup d'oeil à Vahon, restant toujours un peu en retrait. Peut-être que lui saurait mieux que moi comment aiguiller les réponses de son camarade...