D'ordinaire, quand je traversais la salle à manger à la recherche de Grace, c'était pour la remercier. Je ne sais pas trop pourquoi, mais c'était un peu comme si ma camarade avait décidé de veiller sur moi, de me protéger, en quelque sorte, depuis la disparition de son frère, et plusieurs fois, il lui était arrivé de me défendre face à un élève dédaigneux. A chaque fois, je revenais la voir dans la journée ou le lendemain pour la remercier de son soutien, et j'avoue que chaque dois, j'en restais assez étonnée. Après tout, elle avait sans doute mieux à faire que de repousser les petits malins qui s'en prenaient à la proie facile que j'étais, n'est-ce pas ? Pourtant, à chaque fois qu'il lui arrivait d'être témoin de ces scène qui pour moi étaient quelque peu ordinaires, elle s'interposait et elle avait incontestablement une présence, une assurance, qui clouaient le bec à la plupart de mes détracteurs. Je ne m'explique toujours pas pourquoi elle agit de la sorte, mais je lui en ai toujours témoigné de la reconnaissance, parce que ce n'était, clairement, pas le cas de tout le monde.

Aujourd'hui, cependant, c'était un tout autre sujet qui m'amenait à chercher son visage parmi les académiciens. Et une drôle de surprise, pour moi, et sans doute pour elle aussi, par la même occasion. Il s'avérait qu'en histoire de la magie, on nous avait collé pour travaux pratiques d'établir nos arbres généalogiques. Ce à quoi je m'étais appliquée, consciencieuse comme je l'étais, et à mesure que je remontais les branches de la famille de mes grands-parents sorciers, j'étais restée interdite devant le nom qui avait fini par ressortir des différents actes de naissances et autres documents officiels que j'avais dû compulser. Leblanc. En soi, c'était un nom répandu, d'accord. Mais voilà Marie Leblanc, mère des jumeaux Ava et Adam Leblanc, ce n'était pas n'importe qui. Certes, Adam était mort. Certes, Ava se faisait appeler Grace, à présent. Il n'empêchait qu'elle s'appelait Leblanc. G-Leblanc, oui, mais Leblanc. Et les parents de Marie Leblanc étaient cousins avec les de Kerguelen. Ce qui faisait de nous des cousines. Eloignées, certes, certes, mais cousines tout de même. Et pour moi, ça avait de l'importance. Même si ça n'en avait peut-être pas pour elle. Et puis ça me faisait sourire, parce que décidément, les jumeaux, dans la famille, on n'avait que ça ou presque, d'un côté comme de l'autre.

« Grace... Je peux te parler une minute ? »

Mon arbre généalogique à la main, un peu embarrassée de la présence d'autres Hadès autour de nous, je la regardais, souriante, attendant une réponse qui ne vint pas tout de suite, et j'ajoutais, un peu trop subitement.

« Oh... Je te dérange peut-être ? Je peux repasser plus tard si... Enfin... »

Du grand art, Micaëla, dans le genre je mets les pieds dans le plat... Et voilà que je devenais cramoisie, particulièrement mal à l'aise. A tous les coups, je tombais mal et je devais bien avouer que je n'avais pas vraiment envie d'expliquer mes découvertes à tous les Hadès de l'école, je passais déjà bien assez pour une illuminée comme ça. Hésitant sur la conduite à tenir, je ne bougeais plus d'un pouce, attendant la réaction de ma 'cousine', les doigts noués sur mon parchemin. Et je me suis pas vraiment faite recevoir, c'est pas vraiment ça mais... Disons que ça avait l'air de ne lui faire ni chaud ni froid. J'ai quand même raconté mon truc jusqu'au bout, une fois lancé, mais... Elle s'en fichait. Et c'en est resté là, point. Comme quoi la famille et moi, c'était toujours quelque chose d'assez... peu évident.