Les jeux olympiques allaient commencer tout prochainement et personne ne pouvait l'ignorer. Vaulx-sur-les-Pins sorcier avait vu sa population monter en flèche avec l'arrivée des équipes et de leurs supporters, et l'académie était méconnaissable. Et pour un peu, on en oublierait presque la décadence de la nature. Presque. Parce qu'il suffisait de faire un tour dans les jardins - ou tout au moins ce qu'il en restait - pour se rappeler les dérèglements du monde magique. Et moi j'avais encore tout frais dans ma mémoire le souvenir de notre entrevue avec une nymphe. Et notre échec dans notre tentative de sauver le palomino malade. Rien que le souvenir du sang baignant les bois et de son corps sans vie, j'en avait la nausée. Depuis il n'y avait pas une journée sans que je passe par les écuries, même rapidement, pour m'assurer de la santé des autres chevaux de l'école. Comme si ma présence pouvait vraiment y faire quelque chose ! Mais c'était plus fort que moi.

Et puis Brontë restait désormais systématiquement dans ma poche. J'avais tellement peur qu'on me la prenne... Et comme je n'avais plus revu V. depuis un moment, sa proposition de voir avec sa cousine ce qu'on pouvait faire pour ma ratoune était tombée aux oubliettes. Et moi avec. Je devais bien avouer que j'en étais déçue, une fois de plus. Mais après tout, qu'est-ce que j'avais bien pu m'imaginer, hein ? Ce n'était pas parce qu'on avait discuté une nuit ensemble, pris et donné quelques cours à l'autre, et fomenté un acte de rébellion avec Zeppelin qu'il allait y avoir quoi que ce soit entre nous... De toute façon, je voyais bien que je ne l'intéressais pas. Ni lui, ni personne d'autre d'ailleurs... Alors je gardais ça pour moi, ce petite pincement au coeur quand je le voyais parce que je n'avais vraiment pas envie de me ridiculiser davantage encore que d'ordinaire.

A ressasser tout ça, j'étais plutôt d'humeur maussade. Pourtant quand mon regard tomba sur une jeune fille à l'air perdu, un sourire illumina mon visage et je m'approchai d'elle.

« Bonjour ! Je suis Micaëla ! Et toi ? »

Je lui tendis une main amicale avant de reprendre.

« Tu n'es pas d'ici, n'est-ce pas ? Je peux t'aider »

Au final, c'était une bonne chose pour moi, de quoi m'occuper l'esprit et avoir le sentiment d'être un peu utile à quelque chose...

***

J'étais à des lieux de m'imaginer du dialogue intérieur de la jeune fille que j'avais abordée. A mes yeux, c'était simplement une élève perdue, parmi tous les autres, venus de Poudlard ou de Durmstrang. Une élève admirative devant la salle de réception de la Vigne, et je me rappelai avec un sourire mes propres premiers pas en ces lieux. Tout avait toujours semblé merveilleux ici à mes yeux, et j'imaginais qu'il en était peut-être de même pour l'étrangère devant la magnificence de la salle de réception. Je secouai cependant la tête quand un sorcier rondouillard enguirlanda purement et simplement l'étrangère pour avoir été dans son chemin. Et c'est le moment que j'avais donc choisi pour m'approcher d'elle et lui proposer mon aide.

« Salut ! Moi c'est Akilina, mais tout le monde m'appelle Lina.
- Enchantée Lina. Bienvenue à BeauxBâtons ! »

Une poignée de main plus tard, j'en avais oublié mes propres tourments, même si ma ratoune bien sagement cachée dans ma poche, pouvait être découverte à tout moment et que, rapidement, ma main retrouvait le contact de sa fourrure, comme pour m'assurer de sa protection.

« Non, en effet. Je viens de Durmstrang, l'école de sorcellerie russe. Merci de me proposer ton aide, j'en aurais bien besoin effectivement. Tu pourrais m'aider à sortir de cette salle s'il te plait ? Il faut dire que toute cette agitation m'embrouille un peu...
- Viens, suis-moi. »

Je la guidais vers la sortie de la bâtisse, m'assurant qu'elle me suivait bien et que le ballet incessant des sorciers qui s'affairaient dans la salle de réception, et gagnai le perron sur les marches duquel je m'assis l'invitant à faire de même.

« Tu es arrivée aujourd'hui ? C'est un peu la folie avec tous les visiteurs des JOs. Tu fais partie de l'équipe de ton école ? »

Je ne suis pas quelqu'un de foncièrement timide au fond, juste qu'il y a des choses qui me mettent mal à l'aise, quand on touche à la pudeur par exemple. Ou certains compliments. Mais quand il s'agit de parler de façon banale même avec des inconnus, je n'ai jamais vraiment eu de mal. Surtout avec les inconnus en fait, parce que eux, ils ignorent mon don et ce qu'on raconte sur moi dans l'école. Et je n'ai pas vraiment l'intention d'en parler à Lina, à moins qu'un ou une de mes charmants camarades ne décident de venir fiche la bazar dans ma conversation bon enfant.

« Je suis remplaçante pour la mienne, mais au fond, j'espère qu'on aura pas besoin de moi, parce que sinon, c'est que ma cousine a eu un gros pépin... »

Je secouai la tête un peu inquiète quand même à ce sujet, même si je savais bien que ça ne servait à rien de s'en soucier à l'avance : je n'avais pas eu de rêve néfaste, je ne saurai donc pas ce qu'il adviendrait avant que ça n'arrive... s'il arrivait quelque chose.

« C'est la première fois que tu viens en France ? Raconte, comment c'est chez toi, par rapport à ici ? »

Tout ce que je savais de Durmstrang, c'était ce qu'on apprenait dans les livres, et j'avais envie d'en savoir davantage. Peut-être que je demanderai à faire un voyage là-bas, un de ces quatre, comme ma cousine l'avait fait à Poudlard. Peut-être. Je n'étais pas encore décidée en réalité, et pour l'heure, le ressenti de quelqu'un de là-bas pourrait sans doute me permettre d'y voir un peu plus clair...

***

Le sourire de la jeune russe me fait chaud au coeur. Je n'imagine pas qu'on a le même problème, pour des raisons différentes, peut-être, mais n'empêche qu'au fond, on vit quelque chose de similaire. On la traite de folle, moi de harpie et de menteuse. On ne cherchait pas plus loin que les rumeurs et les apparences, et au fond, personne ou presque n'imaginait qu'on pouvait être des personnes comme les autres, avec des sentiments aussi. Personnellement, je suis ravie qu'elle ne me connaisse pas par les rumeurs et qu'elle voit donc au-delà, et donc qu'elle ne connaisse au final que celle que je suis vraiment. Même si je ne me sens pas vraiment de lui parler de Brontë que j'espère discrète alors que finalement, elle connait les mêmes problèmes que moi avec son écureuil et son lutin des Cornouailles. Mais ça aussi, je l'ignore, alors non, je ne prends pas le risque de lui en parler. Au lieu de ça, je la guide simplement vers la sortie, me retournant par moments pour vérifier qu'elle suivait bien. Ce qui n'était pas toujours facile avec la cohue des sorciers en tous genres qui allaient et venaient dans la salle de réception. Finalement, nous parvenons sur le perron où nous nous asseyons enfin à l'abri de l'effervescence ambiante...

« Oui, je suis arrivée il y a à peine deux heures et j'avoue que je suis un peu perdue dans ton école. C'est tellement grand. Et je fais bien partie de l'équipe de Durmstrang. Es-tu dans celle de BeauxBâtons toi ?
- Je suis remplaçante pour la mienne, mais au fond, j'espère qu'on n'aura pas besoin de moi, parce que sinon, c'est que ma cousine a eu un gros pépin.
- Ne t'inquiète pas. Je suis sûre que tout se passera bien.
- J'espère que tu as raison. En tout cas, on se verra à l'inauguration pour le coup, je ne sais pas ce que vous avez préparé, mais je suis sûr que ce sera super. Je crois qu'on se donne tous à fond pour ça... Histoire d'oublier un peu l'année dernière... »

J'avais beau tâcher de sourire, je dois bien avouer que je n'étais pas complètement sereine. Je ne pouvais pas vraiment l'expliquer, mais j'avais un mauvais pressentiment. Je n'avais pas fait de rêve précis, pourtant, si bien que je ne savais pas pourquoi cette sensation m'étreignait, si c'était quelque chose qui concernait Rosa ou quelque chose de plus général, de vraiment tragique ou de simplement dommage. Et vu que je ne voulais pas inquiéter ma camarade, je préférais changer de sujet et aborder les différences entre nos deux écoles, puisqu'il ne faisait aucun doute que Durmstrang et BeauxBâtons étaient on ne peut plus différentes en tous points.

« Oui, c'est la première fois que je viens en France et j'adore ce pays, surtout vos plats. Ils sont tellement délicieux.
- Tout le monde n'est pas d'accord avec toi, mais c'est qu'on s'arrête souvent aux cuisses de grenouilles. Je t'accorde que ce n'est pas vraiment banal comme mets, mais si on fait abstraction de la bestiole d'origine, c'est plutôt bon. Enfin moi je suis bretonne, et je ne jure que par les fruits de mer. Une cassolette de saint-jacques et je suis aux anges ! »

J'ignorais que parler cuisine pouvait réellement intéresser Lina. J'avais surtout pris ça comme une boutade, ce qui, au fond, n'était guère surprenant quand on savait à quel point ce plat typiquement français défrayait la chronique dès les frontières passées. Ce qui, en revanche, m'intéressait davantage, c'était la vie à Durmstrang. J'étais partie avec l'école l'an dernier pendant le tournoi, mais je n'en avais vu que peu, et certainement pas suffisamment pour comprendre le fonctionnement de l'institut russe. La réponse de ma camarade me laissa d'ailleurs un instant songeuse.

« A Durmstrang, nous sommes répartis dans trois niveaux selon nos aptitudes. Il y a les Mokops - la maison à laquelle j'appartiens - les Radgentis et les Pouloudnistas. Ceux ayant les plus grandes aptitudes sont placés à Mokop tandis que ceux ayant les plus faibles se retrouvent à Pouloudnista. Concernant l'institut, il est entouré d'un épaisse forêt. C'est là que l'on teste nos aptitudes en début d'année pour nous affecter à l'un des trois niveaux. Le lac Baïkal se trouve non-loin de l'école. J'aime beaucoup Durmstrang à cause de son paysage magnifique, surtout en hiver lorsque tout est recouvert de neige et de glace. Enfin, c'est pas qu'en hiver que tout est recouvert de neige, en été aussi. Il fait un peu trop froid selon moi. »

J'accompagnai son rire, sachant que pour ma part, le froid serait sans aucun doute un problème. Je me demandais aussi dans quelle maison j'aurais fini, si j'avais grandi là-bas. Perfectionniste comme je pouvais l'être, j'aurais fait de mon mieux pour être prise chez les Mokops, mais en aurais-je réellement eu la possibilité ? Je n'en étais pas certaine. Je me souvenais de la forêt, cela dit, et du froid. Et je pense que ce serait sans doute les points les plus noirs pour moi. Parce que voilà, maintenant que ma cousine avait passé du temps à Poudlard, j'envisageais de partir à l'étranger aussi. Et pas qu'un peu. Quitte à voir une autre école, pourquoi ne pas faire un peu tout le tour, après tout ? Lina reprenait son souffle, et me renvoya la balle, et je lui souris à mon tour.

« Parle-moi de BeauxBâtons, maintenant, si cela ne te dérange pas. Je suis arrivée ce matin, comme tu le sais et je ne connais encore rien de vos coutumes.
- Ah ! C'est donc la première fois que tu viens ici. Et bien... Nous sommes répartis en sept écuries, ici. Moi je fais partie des Hébé et ce n'est pas une question de niveau, mais de caractère. Les miens sont joyeux, artistes et extravertis. Enfin pour ce qui me concerne la troisième assertion n'est pas complètement vraie, mais passons. Il y a les Zeus, je dirai qu'ils ressemblent un peu aux Gryffindors Poudlardiens si tu veux, les Hadès, ce sont les plus mélancoliques, les Hestia, les plus stricts, les Hypnos, les plus rêveurs - et on se demande souvent pourquoi je n'ai pas fini là-bas - les Athéna, un peu nos Ravenclaws à nous, et enfin les Dyonisos, les fêtards en gros. J'imagine que vous avez des dortoirs séparés par maison ? Nous aussi, pour chaque écurie, un dortoir filles et un dortoir garçons. Enfin pour moi qui suis très pudique, ça n'a pas été très facile de s'y habituer. Tu as vu la rivière, peut-être en arrivant, et le bois un peu plus loin ? C'est par là-bas que nous avons nos écuries, les vraies j'entends, et j'y passe beaucoup de temps, à soigner les palominos et les abraxans, et à monter les plus dociles d'entre eux. Comme ça fait neuf ans que je suis ici - on commence notre scolarité à neuf ans, nous - j'ai eu le temps d'apprendre à les connaître - et les reconnaître. Malheureusement, on en a perdu un le mois dernier. Et puis... Tu n'as pas encore vu les jardins, mais j'avoue que vu ce qu'il en reste, ce n'est pas très grave. Avant, ils étaient majestueux, à l'image de la salle qu'on vient de quitter. Maintenant, les fleurs fanent, les arbres se meurent et les animaux sauvages s'en vont... Je voudrais pouvoir faire quelque chose pour l'empêcher mais... je ne sais pas quoi. »

Dans le genre pipelette, je pouvais aussi me poser là parfois... Et si je commençais à lui montrer les mauvais côtés, elle voudrait vite repartir dans sa Russie d'origine. Mauvaise hôtesse que j'étais ! Je me décidai à me lever et l'invitai à faire de même.

« Viens, je vais te faire visiter ! »

Et joignant le geste à la parole, une fois qu'elle se fut levée, je l'emmenai à travers les divers bâtiments pour lui présenter les principaux lieux de vie, et les endroits qui me tenaient à coeur, comme les écuries. Et puis une fois que nous eûmes fait le tour de l'académie, je la laissai en compagnie d'autres russes sans savoir qu'elle était elle aussi une paria parmi les siens, l'assurant de mon hospitalité si elle en avait besoin à quelque moment que ce soit, avant de me diriger vers les écuries, où je comptais bien passer un peu de temps avec les chevaux avant le dîner.