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 Sorry seems to be the hardest word • 2019, february

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Nathanael Keynes
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MessageSujet: Sorry seems to be the hardest word • 2019, february    Sorry seems to be the hardest word • 2019, february  EmptyMar 23 Juil 2019 - 15:42

14 février 2019

Perdonami Nessina, j'ai un peu trop forcé sur le champagne, je prends un taxi pour rentrer...

Il a fini par lui envoyer ce message, les yeux embués de larmes. Ca n'est pas complètement un mensonge, il a bien commencé par héler un taxi, et lui donner l'adresse de leur petit appartement. Et puis il a changé d'avis, demandé au chauffeur de bifurquer vers son atelier. Le chauffeur a bien tenté de lui faire la conversation mais Vince n'a pas eu la force de lui répondre autrement que laconiquement. Il l'a remercié en réglant la note, forçant un sourire auquel ni l'un ni l'autre n'a cru, et il l'a regardé partir dans la nuit. La lumière de la supérette non loin a remplacé celle des phares dans l'obscurité qui l'enveloppe et il a acheté une bouteille de rhum bon marché avant de pénétrer dans ce hangar où s'entassent les nouvelles fresques glauques qui naissent sous ses pinceaux. Il s'est promis tellement de fois qu'il ferait venir de Rome les anciennes, mais à quoi bon ?

La porte refermée derrière lui, il a fait le tour des lieux des yeux comme s'il les découvrait pour la première fois. La bouteille portée aux lèvres, il sent le feu de l'alcool lui brûler la gorge, lui rappelant peut-être un peu qu'il toujours vivant. inside I am dead, il a dû entendre ça dans les chansons d'un autre. Ou peut-être... il ouvre la boîte où s'entassent des pages et pages de rimes, relatant toujours la même histoire. Des dizaines de récits inachevés de cette soirée, des dizaines de messages d'excuse jamais terminés. Il les feuillette un instant, vide encore un peu la bouteille comme pour faire réagir son corps, et les feuillets s'envolent au pied du chevalet sous ses mains fébriles.

Les larmes roulent sur ses joues, des excuses maladroites s'extirpent de ses lèvres mais personne n'est là pour les entendre et les flashs violets zèbrent les souvenirs noirs qui l'accusent éternellement pour sa passivité. La tête entre ses mains, il ferme les yeux comme si ça pouvait empêcher les images de se former dans son esprit, en vain. Et puis subitement, comme pris d'une rage folle, il s'empare d'un pinceau et de l'acrylique rouge. Pas forcément son médium préféré mais ça n'a pas d'importance. La toile immaculée au centre de la pièce revêt quelques lettres tracées d'un geste saccadé, presque douloureux. Perdonami. Le pinceau tombeau sol, et il observe trop longuement sans doute, le visage ravagé de larmes, ce seul mot, terriblement évocateur. Sa main cherche encore le goulot, le porte à sa bouche et la bouteille explose sur le mur d'en face.

Il court comme un fou depuis quelques minutes. Comme s'il y avait urgence, à présent ; il n'y en a pourtant aucune. L'appartement est vide quand il y pénètre, le regard embrumé d'alcool et de larmes. Nessa n'est pas encore rentrée et il reste une seconde, une minute peut-être, à fixer la chambre à coucher qu'ils partagent depuis quelques mois. Et puis il gagne la salle de bains, y fait couler l'eau chaude. Il ôte le costume qu'elle lui a fait porter ce soir, soudain mu avec une extrême lenteur alors qu'il courait à en perdre haleine peu avant. Presque trop précautionneusement, il dispose le blouson de cuir qu'il sait qu'elle aime le voir porter, le jean qu'il a porté ce soir, regrettant la tâche carmine qui l'a éclaboussé tout à l'heure quand son pinceau a atteint le sol, les chaussures qu'il ne pense plus reporter un jour, ni ces bagues et piercing dont il ne se séparait pourtant jamais.

Et puis il a rejoint la salle d'eau, ouvert un placard et fait tourner la lame entre ses doigts, refusant obstinément de croiser son reflet dans le miroir. Pourquoi avoir gardé le marcel et son boxer alors qu'il s'apprête à plonger son corps dans le bain brûlant ? Il n'en a aucune idée, mais ça non plus, ça n'a pas d'importance. Plus rien n'en a réellement. Seulement la volonté de faire cesser la souffrance, une fois pour toute. Assis dans la baignoire, il a coupé l'eau et est resté de longues minutes à observer l'objet métallique entre ses doigts et l'ancre marine à son poignet. De longues minutes avant que le feu de la blessure ne le fasse grimacer. Il n'a pas le courage de réitérer le geste sur son autre poignet, bascule en arrière, la tête sur le rebord de faïence. Bientôt tout sera fini, bientôt... juste le temps que le sang ne coule, teintant le bain de rouge. Le rouge de ces coeurs démultipliés partout dans le château pour la fête des amoureux. Le rouge de sa veste militaire venue d'un autre temps. Le rouge de ces mots peints rageusement sur la toile vierge. Perdonami. Ses lèvres forment encore ces mots, quelques instants à peine avant qu'il ne sombre dans l'inconscience...
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Nathanael Keynes
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MessageSujet: Re: Sorry seems to be the hardest word • 2019, february    Sorry seems to be the hardest word • 2019, february  EmptyMar 23 Juil 2019 - 15:42

15 février, 5h32 du matin.

L’air froid et humide vous rentrait dans les os aussi sûrement que tous les éclats de verre qui immaculaient tout le plancher de béton. Alastair resserra son piètre manteau de toile tâché de sang contre lui. Il se sentait complètement ridicule, dans ce costume, maintenant. Le carmin de son uniforme s’agencait à la peinture acrylique, sur la toile, comme une odieuse mise en scène. Comme si les natifs avaient abdiqué à l’ennemi. Les lieux lui donnaient l’impression de marcher sur un champ de bataille. Des toiles éparpillées, des écrits tâchés et dispersés et du verre partout.

L’odeur du rhum était encore présente, partout dans l’air. Son estomac n’avait pas tenu. Entre le champagne et les putains de hors-d’œuvre au fromage de chèvre et épinards… et tout ce champagne… Pas tenu à cette odeur qu’il avait appris à déceler n’importe où, maintenant. Comme un avertissement. L’arôme sucrée du rhum lui donnait maintenant la nausée et des tremblements. Il avait vomi tout ce que contenaient ses tripes dans le vieil évier, sur les pinceaux, incapable de tenir davantage.

Perdonami.

Perdonami, en grosses lettres rouges sur fond blanc. Il s’était affalé contre le mur de tôle du hangar, au milieu des rimes éparpillées.

Perdonami.

Il avait passé les deux dernières années à imaginer un lamentable de complot à touristes. Une mise en scène. Un piège tout con dans lequel il était tombé. La faute des autres et surtout pas la sienne. Qu’importe les mains froides qui le molestaient, la nuit. Toutes les nuits. Qu’importe les fantômes qui ricanaient, attroupés, autour de son lit. Il avait vainement tenté de prétendre qu’ils n’étaient pas humains, ces gens-là. Qu’ils étaient les monstres et lui, la victime. Le diagnostic était tombé comme la hache d’un bourreau sur sa tête et avait exacerbé toute cette colère. Toute cette rage.

C’était lui, la victime, lui.

Et eux étaient des monstres. Tous des putains de monstres.

Alastair ramassa un feuillet par terre et le relu une énième fois. Une autre version que la sienne. Comment ses cheveux dorés avaient tout de suite attiré son regard. Le désir brûlant, lorsque leurs prunelles s’étaient croisés. Et puis, la peur, la culpabilité, la honte avait prit toute la place. Des souvenirs qui lui échappaient. Cette seringue qu’il avait planté de son propre chef dans son bras, comme un con. Le sourire crispé sur son visage. Cet instant où tout s’était figé dans un état de stupeur, pour eux deux et où ni lui, ni le jeune Italien enlacé à lui, n’avait su trouver les mots pour juste dire non poliment et demander aux deux autres de quitter la chambre. Et les deux autres auraient quitté, tout simplement, si on le leur avait demandé.

Personne ne l’avait obligé à entrer dans cette chambre d’hôtel. Personne ne l’avait obligé à prendre ce cocktail douteux de drogues et d’alcool. Personne ne lui avait demandé de se dévêtir à la pointe d’un couteau. Personne ne lui avait tordu un bras pour pouvoir lui mettre les mains dans les cheveux et avoir ces relations sexuelles sans préservatif.

Personne.
Il avait simplement figé.
Figé.
Il avait simplement souri et hoché la tête, comme un con.

Il se cacha le visage entre les genoux et sanglota.

**

Il avait enfin réussi à se débarrasser de McDonald à force de sourires, de fausses promesses et de propos vide. Oui, bien sûr, il emmènerait Madame visiter la National Gallery Dimanche, pendant que son mari rencontrait des gens du Parlement. Et pourquoi pas avec sa charmante fiancée? Non, malheureusement. Zola-chérie travaillait sur son mémoire. Oui, oui, une brillante jeune dame. Excentrique mais très brillante. Bien sûr qu’il faudrait se faire un déjeuner la semaine prochaine, lui et McDonald, pour discuter un peu de son avenir. Un brillant jeune homme comme lui! Ou plutôt, entre les lignes, qu’est-ce ça lui apporterait, en contrepartie, pour faire couler Whistler…

Il avait quitté tout ce beau monde avec un sourire poli, en prétextant devoir se retirer quelques instants à la salle de bains. Il avait prié le ciel pour que l’autre petit Prince ne le suive pas. Alastair était noir de colère. Mis à part McDonald, cette putain de soirée s’annonçait pourtant sympa. Du champagne à volonté, les conneries de Zola qui le faisait toujours un peu marrer et le petit brun, dans l’intimité provisoire d’une cabine des toilettes, à la fin de la soirée. Ça faisait si longtemps qu’il ne s’était pas permis la moindre intimité, avec qui que ce soit… on pouvait le faire prudemment, non? L’Italien avait tout gâché. Tout. L’Italien ne serait pas venu seul à ce bal, non? Il s’était mis discrètement à la recherche de la rouquine qui l’avait accompagné, au Bannersman. D’abord pour l’engueuler. Lui dire d’aller mettre au pieu son petit ivrogne d’amoureux et lui dire de ne plus jamais l’approcher, quitte à les menacer tous les deux de poursuites au civil pour harcèlement.

Mais la fureur avait fait un peu de place à autre chose. Un malaise. Un déjà-vu. Un putain de déjà-vu. Les déclarations un peu trop passionnées, les excuses larmoyantes et tragiques de ne pas avoir été le fils parfait qu’elle aurait souhaité, les vœux de bonheur les plus sincères, qu’il avait écrit sur du beau papier à lettre à entête dorée et posté à sa mère à Aberdeen, juste avant d’aller avaler tous ces cachets de Valium qu’il avait réussi à soutirer du pharmacien, avec son sourire angélique. Les propos de l’Italien ressemblaient trop à ceux d’un type sur le point de faire une grosse connerie. Une très, très grosse connerie.

Il finit par la trouver, en pestant entre les dents. Elles étaient toutes rousses, les filles, dans ce maudit pays!! Il la trouva, dans sa robe bleue à pois blanc, en train de papotter gaiement avec d’autres demoiselles. Il la vit se pencher vers son téléphone, regarder vers la sortie, en fronçant les sourcils et revenir à sa conversation, en soupirant. Il arriva derrière elle, sourit aux autres jeunes femmes et lui prit le coude, pour l’emmener à l’écart, malgré ses protestations.

« Ton amoureux est venu nous faire sa petite tragédie, ivre comme un botte, est-ce que tu savais ça, toi? Écoute… je ne le connais pas, là dessus, t’as entièrement raison, beauté. Et je me mêle probablement de ce qui ne me regarde pas mais… mais j’ai l’impression que quelque chose cloche. »

Le reste s’était passé trop vite. Elle l’avait empoigné par la manche de sa veste et avait sauté dans un taxi sans même leur laisser le temps de reprendre leurs manteaux. Ils avaient d’abord été à l’appartement. Pendant qu’elle fouillait de fond en comble le reste de l’appartement, il était resté paralysé, à regarder le lit défait de l’unique chambre à coucher. Ne disait-on pas que la plupart des prostitués mâles étaient hétérosexuels? Son cœur s’était serré, un moment. Il se souvenait du regard rempli de désir de l’autre, au travers de cette lumière violette. De cette chaleur qui était parti du ventre pour inonder sa poitrine. Il s’était senti si beau, tout à coup, dans ces yeux en amandes. Si désirable, pour une fois… Il n’entendit pas trop ce que la rouquine disait. Elle avait enfilé une veste et appelait un autre taxi.

Ils s’étaient retrouvés dans ce hangar. À écraser le verre sous leurs pieds. À regarder les rimes éparpillées et à lire avec effroi, les lettres rouges, devant eux.

Perdonami.

Et ils avaient compris. Compris que par un hasard morbide, ils n’avaient fait que se croiser, eux et l’Italien et que l’horreur était déjà enclanchée.

**

Depuis combien de temps regardait-il ses mains, comme un idiot? Il ne savait plus trop. Une heure? Deux heures? Trois? Le personnel médical allaient et venaient, dans le corridor sans se préoccuper de lui. Il n’était pas de la famille, après tout. Quelques coups d’œil un peu stupéfaits de temps en temps, de la part des patients. On aurait presque dit un mauvais remake de la Bataille de Culloden, maintenant. Son costume était fichu ou trop bien réussi, à présent. Le jabot était irrécupérable. Il avait le menton, la joue gauche et les mains maculés de sang. Nessa – c’était le nom de sa copine - avait accroché une autre infirmière qui lui avait donné la même réponse. La rouquine avait repris ses cent pas, en lançant des œillades inquiètes vers la pièce où on s’occupait de son amant.

« Je vais fumer une clope et chercher du café. Il est hors de question que je touche à cette chose infecte qu’ils servent, à la cantine. »

Elle s’était retournée vers lui, complètement hébétée par la froideur cinglante de son ton. Il s’était retourné en évitant son regard et avait marché d’un pas vif vers la sortie.

**

« VINCENZO!!!! »

Ils l’avaient retrouvé dans la salle de bain, dans une marre aussi rouge que les lettres peintes sur la toile. Il avait poussé la fille sans s’en rendre compte et s’était précipité vers le corps inaminé pour le sortir de là. Il l’avait pris dans ses bras et avait pressé la manche de sa veste et sa main de toutes ses forces sur la plaie béante. Il entendait l’appel paniqué de la rouquine, derrière lui, ses directives tremblantes. Il lui avait caressé les cheveux et lui avait toutes sortes de sornettes, dans un italien qu’il n’arrivait soudainement plus à retrouver, le temps que les secours arrivent.

L’italien.
L’italien s’appelait Vincenzo.
Et il avait décidé de mourir à cause de lui.

**

Il était retourné chez lui, comme un automate, sous le regard terrifié de la femme du concierge. Il s’était débarrassé de la veste militaire, du jabot, avait enfilé un pull de laine barriolé, un vieux jeans, une veste qui n’était pas de saison, sans même prendre de douche ni se laver le visage.

Et il était retourné à l’hôpital.

Il s’était assis lourdement à côté de la rouquine, les yeux encore rougis, avec les vêtements qui puaient déjà le tabac et l’haleine chargée de whisky.

« J’ai pas dit non. Je n'ai pas dit non quand il le fallait. Je ne sais même plus pourquoi. Je voulais juste m'amuser, loin... loin de cette foutue pression, tu comprends? Je voulais juste... avoir un beau souvenir. Avec lui. Il... il va s'en sortir?
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Nathanael Keynes
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MessageSujet: Re: Sorry seems to be the hardest word • 2019, february    Sorry seems to be the hardest word • 2019, february  EmptyMar 23 Juil 2019 - 15:42

15 février 2019

Noir. Le noir complet.
Comme lorsqu'il a tenté de toutes ses forces de se rappeler comment il est sorti de cette chambre d'hôtel et que rien, aucune image n'a réussi à se former. A quel moment ? Les autres étaient encore là ? Il n'en savait rien, il n'en savait foutre rien. Et lui, est-ce qu'il y était encore ? Riccioli d'Oro. Il ne croiserait plus son regard, il en était incapable. Il ne pensait pas le faire, si loin de Rome, et pourtant il a fallu qu'il le retrouve, à Edinburgh. Il ne le verra plus, pourtant, à présent, c'est fini, c'est tout ce qu'il souhaite : que tout soit fini. Pourtant les grands yeux clairs s'imposent encore à son esprit, séducteurs, puis accusateurs.

Son esprit.
Son esprit est toujours en état de fonctionner.

Vince ouvre péniblement les yeux, aveuglé aussitôt par le blanc éclatant autour de lui. Trop vif. Trop clair. Et ça n'a rien à voir avec cette lumière au bout du tunnel de l'imaginaire collectif. Une seconde de stupéfation, et il comprend. Même ça, il n'a pas réussi à le faire.

« Pourquoi... ? »

Un faible murmure, dans l'ignorance complète des présences autour de lui.

« Pourquoi je suis encore là ? »

*

« VINCENZO!!!! »

Est-ce qu'il a entendu sa voix, au milieu de cette torpeur dans laquelle il sombre inexorablement ? Pas réellement. Pas tout à fait consciemment. Mais son coeur n'a pas encore cessé de battre, et son esprit endormi enregistre la présence, en arrière-plan d'une toile de fond opaque qui brouille tout. Les couleurs, les sons, les textures et les parfums, tout est occulté dans l'obscurité lourde de l'inconscience.

Des détails resteront tapis aux portes de sa conscience, pourtant. L'odeur du champagne. Le contact du velours sur son poignet blessé, de ces doigts fébriles dans ses cheveux. La mélodie chantante de sa langue natale, dans des phrases incohérentes et mal construites qu'il ne retiendra pas.

Et le froid, glaçant, qui l'engourdit totalement.

*

Une main un peu trop rude s'empare de son coude. Nessa se raidit, prête à réagir vivement, et puis elle se fige en croisant le regard clair de cet homme-là. Lui. Lui, il ne peut venir la voir que pour une raison, une seule. Mais Vince est parti, elle vient de lire son message. N'est-ce pas ?

« Ton amoureux est venu nous faire sa petite tragédie, ivre comme un botte, est-ce que tu savais ça, toi? »

Non elle ne savait pas. Evidemment qu'elle ne savait pas ! Mais qu'a-t-il pu faire, alors, ou dire, pour que l'autre vienne à elle ? Et lui, que lui a-t-il répondu, hein ? Est-ce qu'il l'a encore insulté, sans savoir ce qui le torture depuis ce soir-là ? Elle ouvre la bouche prête à laisser les questions qui s'emmêlent dans son esprit fuser, mais n'en a même pas le temps.

« Écoute… je ne le connais pas, là dessus, t’as entièrement raison, beauté. Et je me mêle probablement de ce qui ne me regarde pas mais… mais j’ai l’impression que quelque chose cloche. »

Pas le temps, ni l'envie. Il a mis le doigt sur ce qu'elle refuse de se laisser aller à penser. Sur ce qu'elle a craint des dizaines de fois depuis qu'elle l'a gardé en larmes pendant des heures dans ses bras. Depuis qu'il s'éveille toutes les nuits en panique. Quelque chose cloche. Un bel euphémisme pour dissimuler l'horreur qu'ils imaginent déjà très bien tous les deux. Ses yeux se sont agrandis d'effroi, et elle ne lui a pas laissé le temps de réagir, ni de protester. Elle a embarqué l'anglais, sans autre forme de procès. Parce qu'il est concerné. Et parce qu'elle n'est pas sûre d'avoir la force de faire ce qu'il faut, si Vincenzo a fait ce qu'elle croit.

L'adrénaline et la panique. Elle ne réfléchit plus, la rousse, fonctionne à l'instinct. L'appartement d'abord, vide pourtant. Et puis le hangar où il a recommencé à peindre, un peu, bien que ses toiles aient perdu de leur éclat. Elle a porté les mains à ses lèvres quand ses yeux ont accroché les lettres écarlates au milieu de la pièce.

« Non... »

Un souffle qui semble pourtant résonner avec force dans la pièce.

« Non non non non non non non... T'as pas le droit ! »

Ils ont fait machine arrière.
Et elle a appelé les secours, pendant que l'anglais le sortait de là, pressant sa main sur la plaie béante qu'il s'est lui-même infligée.

*

Elle ne tient pas en place, refuse de s'arrêter un instant. Elle sait qu'elle ne tiendra pas, si elle s'arrête, ne serait-ce qu'une seconde. Elle a appelé les secours, attrapé quelques fringues pour lui qu'elle a jetées dans un sac le temps qu'ils arrivent, grimpé dans le camion qui les a menés à l'hôpital et expliqué tout ce qu'elle pouvait sans trahir son secret au personnel qui s'efforçait de le maintenir en vie. Et elle est restée debout, à traverser ce corridor en long, en large et en travers, depuis. Pour ne pas se permettre de penser que, peut-être, de l'autre côté de ces portes, Vince l'abandonnait lui aussi.

L'anglais est assis là, à côté, mais elle n'ose même pas s'arrêter pour lui parler. Elle en aurait pourtant, des choses à lui dire. Des choses qu'il aurait dû lui dire lui, sans doute. Ce qu'elle sait, ce qu'elle a sur le coeur. Ce qu'il devrait savoir, sa version des faits. Celle qu'il n'a jamais pu lui faire entendre. Mais ce serait admettre qu'il ne pourra pas le faire lui-même, quelque part, et elle s'y refuse. Et puis elle sait bien qu'elle va s'effondrer, si elle pose ses fesses sur ce fauteuil à côté de lui. Il regarde ses mains, l'anglais, et elle ses pieds qui martèlent le plancher brillant de l'hôpital. Une infirmière passe, et lui donne la même éternelle réponse : « Les médecins s'occupent de lui, Miss, quand on en saura plus, vous serez la première informée. »

Et puis il s'est levé d'un bond, et elle a cessé de marcher pour le dévisager, stupéfaite.

« Je vais fumer une clope et chercher du café. Il est hors de question que je touche à cette chose infecte qu’ils servent, à la cantine. »

Un instant, elle croit rêver. Il est parti, comme ça, en la laissant seule au milieu de ce couloir. Seule avec l'angoisse enveloppant son coeur. Elle a regardé la porte se refermer sur le manteau de velours antique, et puis sa tête a tourné vers la porte désespérément close derrière laquelle se trouvait son ami. Ses bras sont retombés de chaque côté de son corps, soudain lourds comme du plomb, et elle s'est laissée choir sur le fauteuil tout juste libéré. Seule au milieu de ce couloir aseptisé, elle a craqué.

« T'as pas le droit, Vinnie. T'as pas le droit de me laisser tomber, toi aussi. »

Mais les sanglots étouffent les mots dans sa gorge, et personne n'est là pour les entendre.

*

Elle a son manteau sur ses genoux repliés devant elle, protégeant un peu la décence, les mains enserrant ses jambes et encerclant son visage, sa tignasse rousse décoiffée en cascade autour de ses bras, quand un pull de laine bariolé vient s'échouer à côté d'elle. L'odeur familière du tabac et du whisky d'un pub de quartier lui prend les narines ; elle y trouve un certain réconfort, après l'odeur chimique des désinfectants médicaux imprégnant ce couloir vide. Elle a relevé la tête vers lui, surprise qu'il soit revenu, de longues heures plus tard. Surprise, et un peu rassurée, étrangement.

« J’ai pas dit non. Je n'ai pas dit non quand il le fallait. Je ne sais même plus pourquoi. Je voulais juste m'amuser, loin... loin de cette foutue pression, tu comprends? Je voulais juste... avoir un beau souvenir. Avec lui. Il... il va s'en sortir?

Elle a l'impression d'entendre Vince, un peu. Un sourire triste étire ses lèvres et son regard se perd sur la chambre où repose son ami.

« Ils ont suturé et stabilisé son état, mais il a perdu beaucoup de sang. Moins que si tu l'avais pas sorti de là, heureusement. Je peux même pas lui donner le mien, il est O négatif, ce petit con. Mais il a pas encore repris conscience et... et... »

Ca dépend de lui, maintenant. Elle ne peut pas prononcer ces mots. Il a voulu partir, est-ce qu'il a seulement encore envie de revenir auprès d'elle, hein ?

« Je comprends, tu sais ?... Je comprends parce que j'ai déjà entendu ça. »

Elle a tourné la tête vers lui, glisse une main dans celle de l'anglais, les yeux brillants, le visage rougi par les larmes qu'elle a visiblement versées auparavant. Un geste tendre qui peut passer pour de l'altruisme, mais qui vise sans doute plus son propre réconfort que le sien, en réalité.

« Il a pas dit non, lui non plus. Il a pas dit stop aux autres. Mais lui aussi, tu sais ? Lui aussi, il voulait juste un beau souvenir avec toi. »

Elle a posé la tête sur l'épaule de l'autre, comme s'ils étaient familiers. Elle a besoin du contact, d'une présence. De quelqu'un. Tant pis si lui n'en veut pas.

« Ils m'ont dit mille fois que je pouvais rentrer chez moi, qu'ils m'appelleraient quand il y aurait du nouveau. Et puis ils ont dit que c'était stable et que je pouvais aller le voir. Mais... »

Là tout contre lui, il doit pouvoir sentir qu'elle tremble comme une feuille. Mais elle prie de toutes ses forces pour qu'il ne lui fasse pas remarquer.

« J'y arrive pas. »

Elle sait que quand elle le verra étendu là, dans cette chambre, sur ce lit d'hôpital, ça sera comme ce jour-là. Et elle n'est vraiment pas certaine de pouvoir le supporter.

*

« Pourquoi... Pourquoi je suis encore là ? »

Elle est restée immobile, comme sa voix a retenti, faiblement, mais pourtant réelle, dans la pièce horriblement silencieuse. Son cerveau figé par ces mots qu'elle refuse d'assimiler, laissant tout le loisir à l'anglais de réagir en premier. Et puis ses doigts se sont refermés sur les épaules de son ami, rageurs.

« Pourquoi t'es encore là ? POURQUOI T'ES ENCORE LA ?! »

Elle le secouerait comme un prunier si elle en avait la force, mais elle ne l'a plus. La fatigue accumulée par les heures de veille, d'angoisse, l'adrénaline qui reflue maintenant qu'il a enfin ouvert les yeux... Toutes ses forces l'abandonnent et elle se recroqueville sur la poitrine de l'italien qu'elle a connu toute sa vie, les larmes perlant à nouveau de ses yeux sombres.

« T'avais pas le droit, Vinnie, t'avais pas le droit de faire ça. T'avais pas le droit de m'abandonner, toi aussi. »

*

« C'est pas grave si je suis loin là-bas. Je serai toujours là avec toi. »

La gamine qu'elle était a posé sa petite main sur le torse du môme face à elle, un grand sourire sur les lèvres. Et puis elle a attrapé sa main, et l'a posée sur sa propre poitrine.

« Et toi tu seras toujours là avec moi. Promis ?
- Promis. On sera toujours ensemble, même si on est loin. Moi je partirai pas. »

*

« T'avais promis que tu serais toujours là. »

La honte et la culpabilité le submergent à nouveau, et il ferme les yeux. Il a tout foiré, une fois encore. Il ne parvient même pas à lui présenter d'excuses, à elle, ni à le regarder, lui. Et il ne sait plus ce qu'il doit faire ou dire, à présent, coincé dans ce lit d'hôpital et les conséquences de ses mauvaises décisions.
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Nathanael Keynes
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MessageSujet: Re: Sorry seems to be the hardest word • 2019, february    Sorry seems to be the hardest word • 2019, february  EmptyMar 23 Juil 2019 - 15:42

« Il a pas dit non, lui non plus. Il a pas dit stop aux autres. Mais lui aussi, tu sais ? Lui aussi, il voulait juste un beau souvenir avec toi. »

Alastair resta immobile, même lorsque la tête rousse de la jeune fille se posa sur son épaule. Avant cette nuit, il n’avait jamais songé à ça. Jamais songé à ce qui s’était passé, cette nuit-là, dans la tête des trois autres. Ça avait été bien plus facile de se mettre la tête sous le sable et de se poser en victime… De sortir tous les bons vieux préjugés véhiculés depuis des milliers d’années sur ce qui se passait, de l’autre côté des rives de sa Londres d’enfance. Même à lui-même. Juste à lui-même.

À qui avait-il parlé de cette soirée? À personne. Strictement personne. Il était resté tout seul avec toutes ces mains gluantes sur son corps pendant presque deux ans. Et cette fille qu’il ne connaissait même pas en avait parlé à voix haute, comme ça. En plein milieu d’un corridor d’hôpital. Devait-il être mortifié? Il ne savait plus. Il n’arrivait plus à ressentir grand chose. Même son propre corps. Il n’y avait que le poids de cette tête. Anesthésié. Il savait que l’angoisse était là, tapie au creux de son ventre. Il savait qu’elle s’amplifiait. Mais il ne ressentait rien.

Pas encore, en tout cas.

Une préposée passa et les dévisagea, avant d’entrer dans une chambre. Avait-elle entendu?

Il tourna légèrement la tête vers la chevelure rousse qui inondait son épaule. Elle était, cette fille, les yeux et le nez rougis, à lui confier toute son inquiétude, ses angoisses de le perdre, lui. Comme s’ils pleuraient tous les deux le même amant.

« Je n’aurais pas pu lui donner de sang non plus. »

Devait-il être jaloux? Jaloux de quoi? De qui?

Du fait que l’Italien – Vincenzo – soit avec une fille, maintenant? Était-il jaloux de sa copine? Ou était-il jaloux de lui?
Il avait une copine qui l’aimait peu importe qui il était, lui. Avec ses écartades avec les garçons. Avec ses démons. L’Italien avait eu assez confiance en elle pour se confier. Et elle l’avait écouté. Elle avait écouté tout ce qui s’était passé.

Toute cette merde, à Rome.

Et elle était encore là, dans ce foutu corridor trop éclairé, avec l’odeur du désinfectant qui vous brûlait les narines, à attendre que son amant ouvre les yeux. Pire, elle reposait sa tête sur l’épaule de celui qui les avaient tous emmenés là, au fond.

Qui avait été là, pour lui, quand il avait avalé tous ces valiums?

Il l’avait attendu, sa mère, à l’époque. Il s’était demandé si sa mère avait reçu sa lettre. S’il avait mis assez de timbres. Si le majordome l’avait jetée par erreur au recyclage. Il n’avait jamais vraiment su. Il n’avait pas demandé non plus.

L’image de son ex-copine lui revint en tête. Ses yeux brillants, si innocents, si purs, juste devant la scène, lorsqu’il se produisait, avec son groupe. Son petit sourire tout rose si sincère lorsqu’elle mettait sa tête sur son épaule, au cinéma. Son look bon chic, bon genre, un peu vintage de jeune femme-bien-comme-il-faut. Le grand rêve américain de n’importe quel mec normal. Le genre de fille qui plaisait instantanément à tout le monde. Est-ce pour ça qu’il l’avait choisie, parmi toutes les autres groupies qui leur tournaient autour? Sans doute. Il n’avait jamais ressenti de papillons pour elle. Jamais. Il n’avait jamais ressenti la moindre passion folle pour personne de toute façon. Sauf… sauf pour l’Italien. Mais il avait été bien. Presque bien. L’illusion d’une vie normale. De faire ce qu’on attendait de lui. Hormis tous ces putains de mensonges sur Skype, toutes ces passes glauques dans les toilettes des hommes, pendant qu’elle sirotait un verre avec des copines juste à côté… il avait presque été bien, avec elle. Serait-elle restée, si elle avait su? Elle lui avait un jour conté le choc qu’elle avait eu, lorsqu’une autre fille avait tenté de l’embrasser, au lycée… Non, elle ne serait jamais restée. Même s’il lui avait juré que toutes ces aventures faisaient partie du passé.

Mais Nessa était toujours là, elle. Vincenzo pouvait avoir une vie normale, lui.

De qui était-il jaloux? De lui ou d’elle? Alastair se râcla la gorge.
« Il a perdu pas mal de sang, ouais. Dans… dans quelques mois, quand il aura oublié tout ça… Je ne sais pas moi… prétends que tu as vu un documentaire sur Freddy Mercury ou Isaac Asimov, tiens…un truc du genre. Asimov, ça va bien passer. Il ne posera pas de questions. Tu... inventes. Et… faîtes-vous tester, okay? On ne sait jamais, dans les hôpitaux. Tu comprends ce que je te dis? »

Il s’aperçut à peine qu’une infirmière d’âge mûr s’était postée à côté d’eux. Il pouvait presque entendre le reproche, dans les yeux fatigués de la femme. On n’est plus en 1982, fiston. On ne transfère plus n’importe quel fluide contaminé dans le corps des gens. Alastair lui rendit son mépris, silencieusement. Elle posa sa main sur celle de la jeune fille et lui annonça que son compagnon avait repris conscience.

Et l’inquiétude se changea en colère. En larmes. Les reproches d’une âme-sœur qu’on a failli abandonner, pour des conneries. Pour un con qui n’avait pas su dire non. Les rimes, dans ce hangar de naufragé. Les mots qui suppliaient sans cesse cette honte qu’ils ressentaient, tous les deux. Toute cette putain de culpabilité.

Son regard erra un instant sur la chevelure rousse, qui contrastait avec la grisaille des draps sur lesquels ils étaient répandu et ses prunelles tombèrent sur ces cheveux foncés, coupés trop courts à son gout et collés par la sueur. Sans réfléchir, il se pencha pour lui dégager le front, dans un geste d’une tendresse. Comme il aurait voulu sentir encore ces dreads, sous ses doigts, sentir les lèvres, sous son pouce… Quel gâchis… Quel putain de gâchis…

« Écoute… Vincenzo, c’est ça? N… Nessa m’a parlé un peu. Écoute… J’ai agi comme un idiot épouvantable l’autre jour, okay? Il… il y a plus de peur que de mal, crois-moi. Vraiment. Ils ne me disaient rien, tes potes, c’est tout. C’était pas trop la soirée que j’imaginais avoir. Mon égo en a un peu souffert mais c’est tout. Une beuverie de cons. Un malentendu, c’est tout. C’est vraiment tout. Il faut que tu arrêtes de te morfondre pour ça. C’est rien. Absolument rien, d’accord? »

Il sourit et lui caressa doucement la joue. Juste pour sentir une dernière fois cette peau sombre sous ses doigts. Il retira sa main, gêné et la fourra dans sa poche. Il était de trop ici. Il n’avait plus d’affaire là. Il fit un autre sourire, mal à l’aise et mit sa main sur la poignée.

« Faut pas que t’inquiètes ta nana, comme ça, mate. Maintenant, tu te reposes, okay? »
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MessageSujet: Re: Sorry seems to be the hardest word • 2019, february    Sorry seems to be the hardest word • 2019, february  EmptyMar 23 Juil 2019 - 15:42

Se mentir à soi-même, qui ne le fait pas, au moins une fois dans sa vie ? Nessa ne jette la pierre à personne, et ça n'est certainement pas Vince qui se le permettrait. Qu'est-ce qu'il a fait d'autre, pendant ces années, à se persuader que les soirées qu'il passait avec Miquele et Gino lui convenaient ? Que c'était ça, dont il avait envie ? Des rencontres éphémères et sans fondement, dans le secret d'un bar gay excentré pour être bien sûr que personne ne sache qui il était réellement, des relations intimes aussi brèves que vides de sens, derrière les portes closes de cabines de toilettes exiguës. C'était pourtant très loin de son idéal, au fond il le sait. Pourtant quand Nessa soulevait ce point, il prenait la mouche et l'envoyait balader.

Sans doute qu'il ne serait pas étendu dans cette chambre d'hôpital, s'il avait été réellement honnête avec lui-même, et avec les autres, à cette époque. S'il avait cessé de se cacher derrière une amitié factice qui n'avait pas tenu une soirée trop chaotique. Contrairement au lien indéfectible qui l'unit à la rousse en pleurs au-dessus de lui.

« Perdonami... »

Il ne sait pas quoi dire de mieux, de plus, pour consoler la seule personne qui ait jamais fait l'effort de chercher à le comprendre. Il voudrait la prendre dans ses bras pour la bercer et lui promettre que ça ne se reproduirait plus jamais, qu'il le tiendrait, ce voeu d'enfant qu'ils s'étaient fait il y a bien longtemps, mais ses poignets restent entravés, et les mots bloqués au fond de sa gorge.

*

« Je n’aurais pas pu lui donner de sang non plus. »

Elle hoche simplement la tête, sans relever. Pourtant dans son esprit, il est évident qu'il ne s'agit pas seulement d'une différence de groupe sanguin. Ce que Vincenzo lui a raconté lui laisse entendre que la condition de Miquele a été transmise, et c'est ce qu'elle entend dans cet aveu. Ca ne change rien au fait qu'elle garde le contact, encore un peu. Parce qu'il est le seul qu'elle puisse avoir pour l'heure, et qu'elle en a terriblement besoin.

Et le silence s'éternise un instant, comme ils se terrent dans leurs pensées.

« Il a perdu pas mal de sang, ouais. Dans… dans quelques mois, quand il aura oublié tout ça… Je ne sais pas moi… prétends que tu as vu un documentaire sur Freddy Mercury ou Isaac Asimov, tiens… un truc du genre. Asimov, ça va bien passer. Il ne posera pas de questions. Tu... inventes. Et… faites-vous tester, okay ? On ne sait jamais, dans les hôpitaux. Tu comprends ce que je te dis ?
- Oublier... »

Elle a très bien entendu le reste, très bien compris le message, mais c'est un regard triste et un sourire voilé qu'elle lui adresse en redressant la tête.

« Si seulement il était capable d'oublier... »

Elle a secoué la tête. Elle sait bien que ça n'arrivera pas. Que Vince se souvient de beaucoup trop de choses, indéfiniment. Elle sait aussi comme il est capable de se torturer pour n'importe quel manquement, même lorsque tout le monde lui affirme que ça n'est pas grave.

Quant à se faire tester...

« J'entends ce que tu me dis mais j'aurais pas besoin de le forcer à quoi que ce soit, il se fait tester de lui-même tous les trois mois depuis le début. »

Elle ne dit rien la concernant, ça n'a pas d'importance. Même si elle accompagne Vince et suit le mouvement qu'il amorce, même si elle n'a jamais vraiment pris de risque non plus. Ce n'est plus vraiment le moment d'entrer dans ce genre de considérations : Vince se réveillait. Et c'est presque tremblant qu'elle a pénétré dans la pièce où il reposait.

*

Est-ce sa présence ? Cette main sur son front, dégageant les cheveux qui y restaient agglutinés ? La tendresse dans ce geste presque affectueux auquel il ne devrait pas avoir droit ? Il reste muet de stupeur, paralysé par la surprise plus que par les liens qui l'entravent.

« Écoute… Vincenzo, c’est ça ? N… Nessa m’a parlé un peu. Écoute… J’ai agi comme un idiot épouvantable l’autre jour, okay ? Il… il y a plus de peur que de mal, crois-moi. Vraiment. Ils ne me disaient rien, tes potes, c’est tout. C’était pas trop la soirée que j’imaginais avoir. Mon égo en a un peu souffert mais c’est tout. Une beuverie de cons. Un malentendu, c’est tout. C’est vraiment tout. Il faut que tu arrêtes de te morfondre pour ça. C’est rien. Absolument rien, d’accord ? »

La main sur sa joue le fait frissonner, il voudrait poser les doigts dessus, sentir la peau blanche sous la paume de sa main. Mais il ne peut même pas lever le bras, entravé. Et il y a ce mot qui lui sembler flotter dans l'air, tout autour d'eux, allumant ses lettres pourpres sur le plafond trop blanc. Bugie. Mensonges. Comme ce qu'il a affirmé tout ce temps à Nessa. Je vais bien, ne t'en fais pas. Ou en tout cas, ça va aller. Alors qu'il savait pertinemment que non.

« Faut pas que t’inquiètes ta nana, comme ça, mate. Maintenant, tu te reposes, okay ? »

Il ferme les yeux et laisse deux larmes perler de chaque côté de son visage. Harold va partir, il le comprend avant même de voir sa main sur la poignée de la porte. Et une part de lui voudrait le retenir, autant qu'une autre lui confirme une fois de plus que c'est sans doute mieux ainsi. Pourtant Nessa a séché ses larmes pour se tourner vers lui.

« You don't get it right... »

Elle a posé sa main sur celle du londonien, comme pour le retenir, et c'est à nouveau les sonorités chantantes de son italien natal qui roulent sur sa langue, comme lorsqu'ils se sont vus pour la première fois.

« J'aime Vince et il m'aime aussi depuis... Depuis toujours. Mais c'est pas comme ça, on est pas vraiment amants. Plus comme... comme une famille. Un frère et une soeur, tu vois ? »

Il a tenté vainement de lever la main, comme s'il pouvait le retenir, alors qu'il ne peut même pas se relever de ce lit sur lequel il est pieds et poings liés.

« Mi dispiace... Mi dispiace tanto, tantissimo... »

Il supporte mal de ne pouvoir ni s'éloigner, ni se retourner, ni rien faire pour se soustraire aux regards, et davantage encore de ne rien pouvoir faire pour empêcher l'anglais de partir.

« Non andare via... Prego... »

Une supplique... Mais pourquoi lui demande-t-il de rester, hein ? De quel droit, même, ose-t-il seulement émettre ce désir, alors qu'il a très certainement ruiné sa vie ? En tout cas en reste-t-il persuadé, malgré le beau discours du britannique... Il n'aurait pas dû demander ça, et alors qu'il a un bref instant cherché le regard clair de celui qu'il a tellement désiré, ce soir-là à Rome, et encore aujourd'hui, il ferme à nouveau les yeux, comme si ça pouvait l'isoler des autres, le protéger des réactions des autres qu'il redoute tellement. Et qu'il a toutes les peines du monde à gérer.
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MessageSujet: Re: Sorry seems to be the hardest word • 2019, february    Sorry seems to be the hardest word • 2019, february  EmptyMar 23 Juil 2019 - 15:43

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Austra - Alone, Together

Reste, qu’il avait dit. Reste.

Une petite voix haineuse, dans sa tête, refusait presque de traduire les accents chantants qu’il avait un jour adoré.

Tu l’as sorti de son putain de bain. Tu lui as dit que tout allait bien. De ne pas s’en faire et tout. Mais qu’est-ce qu’il veut, l’étranger?

Qu’est-ce qu’il veut de plus hein? Tes petits mensonges ne lui suffisent pas?

Alastair resta un moment à observer la poignée, sous ses doigts. Les contrastes se renforçaient. Cette maudite odeur de désinfectant bon marché lui remplissait les narines, comme dans cette chambre d’hôtel. Est-ce qu’en traversant cette porte, il pourrait simplement faire comme si cette nuit n’avait jamais existé? Est-ce qu’il pourrait encore reléguer Vincenzo à son rôle d’étranger? À son rôle infâme et imaginaire de prostitué? Pourrait-il encore continuer à prétendre être une victime?

Même après ce que la rouquine avait dit?
Même après ce qu’il avait vu dans ce hangar? Même après avoir lu toutes ces rimes imbibées de rhum?

Sa main se crispa un moment sur la poignée. Vincenzo. Vincenzo se faisait tester tous les trois mois. Tous les putains de trois mois. Comme un garçon sage. Comme un garçon conscient du milieu duquel il provenait. Conscient des risques que leur sexualité, encore perçue comme maudite par certains, pouvait parfois encore engendrer.

Et lui, hein, lui? Combien de temps avait-il attendu? Plus qu’un an et demi. Plus de 18 mois à fuir les médecins et à se mentir à lui-même.

Parce qu’il le savait, non? Il l’avait senti, que ces mecs lui cachaient un truc. Il l’avait senti cet espèce de malaise, lorsqu’on lui avait répondu qu’on avait oublié les préservatifs… C’est ce qu’on lui avait répondu, non? Qu’il n’y en avait pas… Était-ce son imagination? Les autres types étaient aussi défoncés que lui... Un simple oubli? Il y avait tellement de vide, dans sa mémoire… Et il avait quand même attendu tout ce temps. Même après ces accès de fièvre qui l’avait terrassé environs trois semaines après cette soirée. Il avait attendu. Il s’était dit que ce n’était rien qu’une mauvaise soirée. Que ça passerait. Les images floues et tordues, dans sa tête. Les mains froides sur son corps. La culpabilité. La honte de ne simplement pas avoir dit non. Ça passerait tout seul. Comme cette putain de fièvre.

Après tout… il n’était pas n’importe qui non? Il était éduqué, lui. Il était intelligent. Il faisait attention. Il se protégeait, la plupart du temps. Il n’avait jamais vraiment fait de bare-back avant. Ce n’était qu’une fois, non? C’est tout, juste une seule fois… Ce n’était pas un drame…

Pas un drame, non…

Combien avait-il eu d’amants, depuis qu’il avait perdu son « pucelage » à 16 ans? Une centaine? 200 peut-être? Ou plus? Combien y avait-il eu de corps à corps enflammés, seulement dans les trois mois de liberté qu’il avait eu, en Italie? Il s’était bien protégé, oui, mais… Il s’était fait tester deux ou trois fois, en dix ans. La dernière datait de son renvoi d’Oxford. Un dépistage de drogues forcé par l'administration de l'Université. Et si l’infection ne datait pas vraiment de cette putain de soirée?

« Mais cesse de dire que t’es désolé, veux-tu?! »

Le ton était peut-être un peu trop cassant. Il n’en pouvait plus, de ces excuses sans fin. Les rimes de Vincenzo se répercutaient, larmoyantes, dans sa tête. L’italien demandait pardon. Pardon, pardon, pardon. Toujours pardon. Alors que sa rage à lui l’avait presque tué. C’était la faute à qui, hein? À lui ou à l’autre?

Était-il capable de lui pardonner, à l’Italien? C’est ce qu’il voulait entendre, non? Pourquoi était-il incapable de prononcer ce simple mot? Il n’en savait rien.

Alastair laissa tomber sa main, un instant, le regard toujours rivé sur cette maudite porte. Il suffisait de tourner la poignée et de s’éloigner. Était-ce ce qu’il souhaitait? S’éloigner cet inconnu qui avait hanté toutes ses pensées depuis presque deux ans?

« D’accord. D’accord, je reste. Un peu. Juste un peu, ok? »

Pourquoi refusait-il de lui répondre en italien? Il soupira. Il sortit sa flasque pour en boire une large rasade et se laissa tomber sur le siège vide à côté de la rouquine. Le lit lui revint en tête. Un simple lit deux places dans un appartement minuscule. Et ils n’étaient pas amants, ces deux-là? Ils n’étaient pas amants? Il se mordit la lèvre et retint cette question qui lui brûlait la langue. Alors pourquoi? Pourquoi alors que l’Italien avait semblé si libre, avec ses dreads, ses tatouages et ses piercings, là-bas. Tellement plus libre que lui… Pourquoi?

Il jeta un coup d’œil à ce visage brun éploré, en face de lui. À ces mains entravées au lit. Si libre…
Mais il ne le connaissait pas, non?

Il ne le connaissait pas du tout.

Instinctivement, il avança la main pour desserrer un peu les entraves. Ils les avaient tellement serrées, à l’époque… Tellement serrées… Et ils avaient refusé de le détacher. Même quand ses potes du Collège étaient venus le voir. Même quand il avait demandé à aller aux toilettes. Il avait du pisser dans un récipient. Devant eux.

Ses doigts glissèrent sur le bandage taché. Une bouffée de culpabilité lui monta aux joues. Il baissa la tête. Quel gâchis.

« T’inquiètes pas. Ils voient bien que t’es pas tout seul. Ta… ton amie est là. Tu n’auras qu’à dire au psychiatre que tu as fait une belle connerie. Que tu ne voulais pas vraiment faire ça, au fond. Que tu regrettes. Que tu vas mieux. Ils vont te détacher. Et dans quelques jours, ils te laisseront repartir. »

Sa main glissa sur le poignet et serra la main, un instant avant de retomber.

Que restait-il à dire maintenant? Il étira les lèvres, dans un air faussement guilleret pour sourire. Pour rassurer, sans doute.

« T’inquiètes pas. Tiens, parle-moi de toi. Tu dois sans doute avoir d’autres hobbies que d'enfiler les verres de champagne et de tout foutre en rouge. »
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MessageSujet: Re: Sorry seems to be the hardest word • 2019, february    Sorry seems to be the hardest word • 2019, february  EmptyMar 23 Juil 2019 - 15:43

Reste. Ne pars pas. Pourquoi a-t-il seulement osé lui demandé ça ?

Et pourquoi le londonien a-t-il fini par accéder à sa requête ?

L'italien ne se l'explique pas, mais il n'est pas vraiment en état de le faire. Tout ce qu'il sait, c'est le soulagement indescriptible de ne pas voir les mèches brunes s'évanouir de l'autre côté du battant. Et la claque mentale lorsque la voix de l'anglais retentit dans la chambre trop blanche.

« Mais cesse de dire que t’es désolé, veux-tu?! »

Ce sont pourtant encore et toujours des excuses qui se forment dans son esprit, parce qu'il n'a rien dit ce soir-là, parce qu'il a pris la fuite, parce qu'il a failli abandonner Nessa, parce qu'il n'a jamais été le fils parfait que ses parents auraient pu espérer, parce qu'il les décevra, encore, le jour où ils sauront qu'ils n'auront jamais de bru à emmener à l'autel... Il se tait pourtant. L'autre ne veut pas les entendre. Et ne répond pas à sa demande muette, au fond. Est-ce qu'il pourra jamais lui pardonner ? Est-ce que tous ceux qu'il a déçus ou blessés pourront jamais lui pardonner ? Ou est-ce qu'il va devoir supporter le poids de la culpabilité jusqu'à la fin ? Il n'est pas sûr d'en être capable... Ou plutôt, il est certain de ne pas l'être.

« D’accord. D’accord, je reste. Un peu. Juste un peu, ok ? »

La langue anglaise lui demande un temps d'adaptation, comme si son cerveau se trouvait engourdi. La perte de sang, sans doute. Harold n'a pas tourné la poignée, il n'a pas entendu le bruit de ses pas s'éteindre au fond du couloir, et c'est tout ce qu'il retient pour l'heure. C'est tout ce qui importe. Même s'il ne reste qu'un peu, même si dans quelques minutes ou une heure, il finit par disparaître. Juste pas maintenant, c'est tout ce qui compte. Ca, et ses doigts sur son poignet bandé, sur les liens qui le maintiennent attaché à ce lit anonyme.

« T’inquiètes pas. Ils voient bien que t’es pas tout seul. Ta… ton amie est là. Tu n’auras qu’à dire au psychiatre que tu as fait une belle connerie. Que tu ne voulais pas vraiment faire ça, au fond. Que tu regrettes. Que tu vas mieux. Ils vont te détacher. Et dans quelques jours, ils te laisseront repartir. »

Une foutue impression de vécu, de discours criant d'expérience passée lui met le coeur au bord des lèvres, si tant est qu'il puisse l'avoir davantage encore que précédemment. Ca ne sont pas que des phrases banales, toutes faites, juste lancée comme on déballe des vérités universelles. Il l'a vécu, il en mettrait sa main à couper. Alors il hoche simplement la tête, le regard empli d'effroi et de compassion à la fois. Oui, il devrait pouvoir dire ça oui. Il a fait une belle connerie, ce n'est que la stricte vérité. Et oui, bien sûr qu'il regrette, il suffit qu'il voit les larmes dans les yeux de Nessa pour ça. Quant à aller mieux... Ca, il ne peut pas trop dire : est-ce qu'il a jamais vraiment été "mieux" ? Il n'en est même pas vraiment convaincu, alors comment convaincre qui que ce soit ? Mais il parlera de Nessa, du fait de vouloir rester auprès d'elle, de son soutien. Il peut même évoquer tout ce qu'il lui doit, à la rousse, et son attachement à elle. Il s'imagine face à un praticien austère, à qui il devra expliquer qu'il ne sera pas à nouveau un danger pour lui-même dans l'immédiat.

Et dans l'immédiat, ses doigts se referment sur ceux du londonien. Il ne veut pas lâcher cette main, il ne peut pas. De peur de le voir s'évanouir, disparaître pour de bon. Parce qu'il s'en va, maintenant, il ne le reverra plus jamais, n'est-ce pas ?

« T’inquiètes pas. Tiens, parle-moi de toi. Tu dois sans doute avoir d’autres hobbies que d'enfiler les verres de champagne et de tout foutre en rouge. »

Ne pas s'inquiéter ? Ca ne fait pas partie de son mode de fonctionnement, il le sait bien. Il s'inquiète pour tout, pour tous, tout le temps. Il a peur de tout, et de tous, en permanence. La moindre anxiété prend des proportions d'angoisses insurmontables, il le sait bien. Mais la boutade le fait réagir, et il s'entend répondre, la voix toujours aussi faible et éraillée.

« C'est même pas ma couleur préférée... Ni ce que je préfère boire. »

L'ersatz de sourire qui commençait à poindre sur ses lèvres retombe aussitôt. l y a moins de deux ans, il s'était promis de ne plus perdre le contrôle, pour ne plus jamais en arriver à cette soirée-là, à nouveau. Ce soir, n'a-t-il pas fait pire encore ? Sans doute que si, et il peine encore à déglutir et reprendre le fil d'un discours qui vise plus à empêcher un silence pesant de s'abattre sur la chambre plutôt qu'à continuer à faire la conversation.

« Je peins. Des flores sous-marines, l'océan, sa faune... »

Il ne sait même pas vraiment pourquoi il lui répond, finalement, si ce n'est pour qu'un bruit de fond continue à emplir la pièce, mais il s'entend le faire, et poursuit sur sa lancée, quand bien même il ne sait pas trop à l'avance ce qu'il va dire exactement, ni comment expliquer sa passion pour les profondeurs marines.

« Ca vaut ce que ça vaut mais... Je sais pas, ça m'a toujours fasciné. C'est pour ça que j'étudie les fonds sous-marins... »

L'immensité, la diversité. Une fascination débordante, qui le tient depuis tout petit. Et peut-être l'apaisement, aussi, que le bruit des vagues qu'il imagine dans sa tête, comme elles naissent sous ses pinceaux, produit.

« Puis j'écris un peu, et je gratte ma guitare... 'fin je suis ni Shakespeare, ni Keith Richards, hein... »

Il n'aurait pas l'audace de se comparer à Monet ou à Turner non plus. Comme s'il devait s'excuser, une fois encore, de mettre en avant ses hobbies. Son talent, dirait Nessa, mais il en est parfaitement incapable. Il peint, il écrit, il joue. Pour lui. Il n'a jamais cherché la notoriété ni la gloire, certain de toute façon de ne pas les mériter.

« Je vais me chercher un café... Enfin un de ces trucs qu'on ose appeler comme ça par ici. »

La rousse s'est relevée, le visage encore mouillé, mais force un sourire et une touche d'humour à son tour, en jetant un regard entendu à son voisin. Pour masquer son trouble, le romain le sait. Mais il ne dit rien.

« Je sais même pas si je peux t'en ramener un. Même si tu le trouveras dégueulasse.
- On s'en fera un digne de ce nom quand on rentrera... »

Une promesse à peine déguisée : ils retrouveront leur petit appartement et leur vie bien rangée, comme avant. Il sait bien que ça n'effacera rien, mais il renouvelle sa promesse de ne pas l'abandonner, en quelque sorte, et il compte bien s'y tenir. Et malgré tout, elle lui fait encore confiance, comme elle se contente de hocher la tête et de lui sourire à travers son rideau de larmes.

« Je reviens vite. »

Une main tendre sur ses cheveux, et elle adresse un regard appuyé à l'anglais. Une manière de lui dire de ne pas laisser Vincenzo seul en son absence. Je te le confie.

« Et je sais faire du café, du vrai... », finit-il par ajouter, comme s'il pourrait parvenir, lui aussi, à faire un peu d'humour. Mais il lui semble que sa réplique tombe à plat, et il ne sait pas quoi ajouter d'autre pour compenser.
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MessageSujet: Re: Sorry seems to be the hardest word • 2019, february    Sorry seems to be the hardest word • 2019, february  EmptyMar 23 Juil 2019 - 15:43

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« Je vais chercher un café… »

La rouquine se leva et se dirigea vers la porte, sans même faire attention aux regards noirs du jeune homme à côté d’elle. Il avait dit qu’il resterait. Pour être poli. Pour être un peu solidaire envers cet inconnu qu’on avait attaché à son lit. Pas pour être en tête à tête avec l’Italien. Il voulut protester mais de la manière qu’elle avait de ne pas le regarder, il savait. Elle le faisait exprès. Il se renfrogna sur son siège et renifla avec mépris.

« Un thé pour moi. C’est moins compliqué de foutre un sachet dans de l’eau chaude que de faire du café décent. Ils ignorent ce que c’est du vrai café, en Écosse. »

Cherchait-il à la piquer? Probablement. Elle avait un accent bien écossais, elle. Et la chevelure de feu typique de ce coin de pays. Il entendit à peine les deux amis se dire qu’ils se reverraient vite. Il hocha la tête comme un con lorsque l'Italien leur poroposa de leur faire du vrai café chez lui. Avait-il accepté une invitation? Probablement. Mais ce serait vite oublié, non?

La porte se referma derrière elle et l’angoisse le prit de cours à nouveau. Avait-il jamais été vraiment seul avec lui? Les deux autres avaient-ils toujours été présents lorsque leurs lèvres s’étaient touchées?

Allaient-il entrer encore une fois dans cette pièce, sans invitation?

Sans réfléchir, il tassa sa chaise - avec le grincement odieux qui allait avec – d’un cran à droite. Juste assez. Juste assez pour bloquer cette foutue porte. Personne ne pourrait entrer, juste comme ça. Personne. Les pièces trop grandes lui donnaient maintenant un peu le cafard, de toute façon. Il avait toujours l’impression que les deux foutus Romains entreraient. Et qu’il ne pourrait pas refuser. Peu importe où il était.

Il sourit bêtement et sortit sa flasque, sans sourciller.

« Ouais. Vous faîtes du bon café, vous. Je crois que je n’ai pas eu un vrai café depuis mon retour d’Italie. C’est pas pareil. C’est pas pareil, tu comprends? »

Il se tut un moment, en savourant le silence et avala une large rasade de whisky. Personne ne pouvait entrer, non? Et ce n’est pas le type attaché au lit qui pouvait se plaindre…

« Ouais. J’ai vu tes tableaux, dans le hangar. C’est… »

C’était comment? Il n’en savait trop rien. Son ex petite amie de l’époque s’y connaissait. Elle aurait pu vous décrire un coup de pinceau ou une atmosphère de façon passionnée. Qu’aurait-elle dit, hein? Elle aurait inspiré et regardé le tableau en silence. Puis, elle aurait sourit tristement et parlé du coup de pinceau vindicatif et anarchique de l’artiste sur les parois du navire à l’abandon. Elle aurait parlé des couleurs sombres, du thème, de la composition… De toutes ces babioles qui lui revenaient en mémoire, à chaque fois qu’il regardait une œuvre d’art. Elle était presque là, juste à coté de lui quand il s’arrêtait dans un musée. Même à la National Gallery. Même devant le grand portrait de ce type vêtu en habit traditionnel, qui portait un de ses prénoms et qui avait évincé une partie des Highlands pour une question de moutons. Depuis Ayo*, il portait attention à ces détails.

Avait-il jamais ressenti autant de papillons pour elle qu’il en ressentait pour cet Italien?

« Je croyais que les fonds marins était plus lumineux. Plus colorés. Ouais. Plus colorés. On dirait que tu t’es inspiré de Melville, mate. »

Il sourit tristement et porta de nouveau la flasque à ses lèvres et écouta distraitement l’italien parler de son écriture et puis de sa musique. Ses yeux étincelèrent un instant.

« De la guitare… tu joues de la guitare? Je… »

Alastair se râcla la gorge et se frotta le nez, gêné. Voulait-il vraiment se devoiler à cet inconnu? Il rougit, sans s’en rendre compte. Les papillons bougeait, dans son ventre. Il pouvait même les sentir dans sa nuque et dans ses bras. L’italien était musicien? Vraiment?

« Tu as un style accoustique hein? J’ai lu… Bah, c’était éparpillé partout. Ton style… ton style est plus accoustique, plus… doux, plus… émotif et romantique, non?

Il allait en remettre lorsqu’il sentit une poussée dans son dos. La flasque disparut d’un geste fébrile sous sa veste. L’infirmière de garde avait entrouvert la porte et pestait pour passer. Il se tassa, gêné, en provocant un autre grincement désagréable. La vieille femme lui lança un autre regard désapprobateur et amorça ses tests de pression et de température. La pression était bonne, malgré tout. Le silence tomba comme du plomb.
Vincenzo allait mieux. Du moins, physiquement.

Harold se râcla la gorge.

« On pourrait pas le détacher? Non mais je suis là… Sa petite amie est juste à l’étage, à la cafeteria. Et regardez-le, bordel C’est pas comme si ce type était en état pour rendre jusqu'à South Bridge, et se jeter en bas, si? Allez… je continue de bloquer la porte, si vous voulez. »

Bloquer la porte, oui. À qui? Aux deux romains imaginaires?

La vieille mégère le toisa, un instant. Puis elle soupira.

Et elle défit les liens.

« On devrait pas sans l’accord du docteur, vous savez? Si on le voit sans surveillance… c’est fini. Vous restez là. Le docteur va passer, dans la matinée. Je compte sur vous et sa copine. »

Sa copine. L’image du lit lui revint une nouvelle fois en tête. Une pointe de jalousie aussi. Baisaient-ils ensemble, de temps en temps? L’envie lui prit les trippes. Cette peau si brune contre une peau blanche. Il baissa la tête, les joues en feu.

« Non, mais elle exagères. Ça prend pas tout ce temps pour avoir un café et un thé, non? »
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MessageSujet: Re: Sorry seems to be the hardest word • 2019, february    Sorry seems to be the hardest word • 2019, february  EmptyMar 23 Juil 2019 - 15:43

Personne n'est dupe, il le voit bien. Ni lui, ni l'anglais, ne se fait la moindre illusion quant au fait que Nessa s'est éclipsée pour les laisser en tête à tête, alors que c'est pourtant la situation la plus embarrassante qui soit. Pourtant Vince n'a aucune envie de voir l'autre partir, et si Harold adresse un regard noir à l'écossaise, celui de l'italien se fait presque suppliant. Reste, lui a-t-il demandé. Est-ce qu'il le fera toujours, en l'absence de la rousse ?

« Un thé pour moi. C’est moins compliqué de foutre un sachet dans de l’eau chaude que de faire du café décent. Ils ignorent ce que c’est du vrai café, en Écosse. »

Elle n'a pas relevé, et s'il est plutôt d'accord dans le fond, le peintre ne peut pas vraiment cautionner la forme, pour la simple raison que le britannique cherche visiblement à piquer au vif son amie. Sa soeur de coeur. La seule famille qu'il ait, ici, loin de sa méditerranée natale. Il ne comprend pas bien la démarche, non plus. Pas plus que celle de bloquer la porte - il a bien compris le mouvement, sans pourtant en connaître l'ensemble des motivations - et regrette déjà le contact de ses doigts dans les siens.

« Ouais. Vous faîtes du bon café, vous. Je crois que je n’ai pas eu un vrai café depuis mon retour d’Italie. C’est pas pareil. C’est pas pareil, tu comprends ? »

Oui et non. Il dévisage le londonien, cherche des réponses aux interrogations muettes qui semblent flotter tout autour d'eux dans la pièce aseptisée. De quoi parlent-ils, au juste ? Du café, un véritable ristretto impossible à trouver ici, dont il n'a jamais retrouvé le goût depuis Rome ? Ou est-ce une constatation plus large, de tout ce qui diffère, depuis cette nuit dramatique ? Est-ce que rien n'est plus pareil parce que son esprit reste troublé ? Vincenzo ne peut que le comprendre : lui-même n'est pas capable d'oublier, et tout tourne toujours en boucle dans son esprit autour de cette fameuse nuit. Est-ce que rien n'est plus pareil parce qu'il a été infecté ? Il ne peut pas s'empêcher de croire que c'est le cas, quoi que l'autre ait pu dire tout à l'heure, comme pour le dédouaner. Et pourtant, il n'est pas capable de poser ouvertement la question, de peur de donner plus de corps encore à la culpabilité qui le ronge.

Alors il s'exécute quand il lui demande de parler de lui, évoque sa peinture à défaut de savoir quoi dire d'autre. Il n'a jamais été très bavard de toute façon.

« Ouais. J’ai vu tes tableaux, dans le hangar. C’est… Je croyais que les fonds marins était plus lumineux. Plus colorés. Ouais. Plus colorés.
- They were, once.
- On dirait que tu t’es inspiré de Melville, mate.
- Mmmh... Ouais... Ou du naufrage de Nuijen... »

La peinture hollandaise n'est pas sa préférée pourtant, mais quelque chose dans la scène désolée et ses naufragés échoués sur le rivage résonne en lui depuis ce fameux soir... Pourquoi parle-t-il encore ? Pourquoi évoquer sa musique, sa guitare, et les lignes griffonnées, éparses dans son hangar ? Il n'en sait rien, mais il se livre pourtant. Et s'étonne de la réaction passionnée de l'autre. Comme Naya, à la librairie, alors qu'il craignait de l'embarrasser, quelques semaines plus tôt.

« De la guitare… tu joues de la guitare? Je… »

Il hoche la tête, attendant la suite de la phrase à peine entamée, laissée en suspens. Suite qui ne vient pas vraiment, remplacée par une autre question. Et le sang de l'italien se glace.

« Tu as un style acoustique hein? J’ai lu… Bah, c’était éparpillé partout. Ton style… ton style est plus acoustique, plus… doux, plus… émotif et romantique, non?
- Je... »

Il n'a pas le temps de répondre : la porte bouge dans le dos de l'anglais, et il se redresse, camoufle la flasque qu'il vidait peu à peu jusque-là tout en poursuivant la conversation. L'infirmière qui entre ne parle pas, ou presque. Elle exécute avec des gestes presque mécaniques les tâches qui lui incombent, sur son corps inerte - il n'a aucun moyen d'y contrevenir, de toute façon et fixe le plafond, incapable de croiser le regard de la soignante silencieuse. Mais la voix du britannique le surprend, et lui fait à nouveau tourner la tête.

« On pourrait pas le détacher? Non mais je suis là… Sa petite amie est juste à l’étage, à la cafeteria. Et regardez-le, bordel. C’est pas comme si ce type était en état pour se rendre jusqu'à South Bridge, et se jeter en bas, si? Allez… je continue de bloquer la porte, si vous voulez. »

Le regard implorant, Vince ouvre la bouche mais cherche des mots qu'il ne parvient pas à trouver. N'importe quoi pour ne pas rester dans cette position inconfortable et tellement humiliante. Son estime de lui déjà basse a toutes les peines du monde à se relever et le réveil et les besoins physiologiques qui vont avec commencent à se faire sentir. S'il pouvait seulement se lever, quelques instants, pour ne pas avoir à demander l'assistance de qui que ce soit pour un besoin aussi primitif que celui d'aller soulager sa vessie, histoire de garder un semblant de dignité...

« On devrait pas sans l’accord du docteur, vous savez? Si on le voit sans surveillance… c’est fini. Vous restez là. Le docteur va passer, dans la matinée. Je compte sur vous et sa copine. »

L'infirmière est repartie presque comme elle est venue, et le peintre hésite à tenter de se redresser dans la seconde, son élan coupé par la prise de parole d'Harold.

« Non, mais elle exagère. Ça prend pas tout ce temps pour avoir un café et un thé, non?
- Je sais pas... Mais je dois... »

Il se redresse, enfin libre de ses mouvements, plus précautionneux que jamais. Il a perdu beaucoup de sang, il l'a bien compris - c'était l'idée en même temps - et ses bras restent reliés à une perfusion. Du regard, il suit les fils, et le portant où se termine le goutte à goutte dans son bras. Est-ce qu'il peut seulement atteindre la cabine de toilette ? Assis sur le bord du lit, il passe une main nerveuse dans ses cheveux, sur son visage blême, incapable de demander de l'aider à l'anglais pour ça.

« Juste un instant... »

Il s'est levé, la tête lui tournant un peu, le sang affluant peut-être trop subitement à ses jambes, tentant d'occulter la tenue d'hôpital qui ne le dissimule sans doute que trop peu à présent qu'il est levé. Plus honteux que jamais, les joues en feu, il lui a semblé que traverser la pièce lui a pris une éternité, et il a préféré s'asseoir sur la cuvette de peur de ne pas parvenir à rester debout sans perdre l'équilibre. Quelques minutes, encore, pour qu'il retrouve le courage de sortir de la pièce exiguë, et de lui faire à nouveau face, surtout, et voilà qu'il reparaît aux yeux du britannique, mais redoute davantage encore de croiser son regard, et finit par se laisser tomber plus qu'autre chose dans ce lit qu'il déteste d'ores et déjà.

Mais la faute à qui s'il est ici, à présent, hein ?

« J'ai pas vraiment écrit ça pour que quelqu'un le lise ou l'écoute un jour. Juste parce que... Parce que j'en avais besoin. C'est juste ma gratte... alors je suppose que c'est un style assez acoustique ouais... »

C'est toujours le plafond qu'il fixe, dissimulant comme il le peut son corps sous les draps. Harold en a vu davantage, pourtant, par le passé, mais la situation actuelle le rend plus honteux et pudique que jamais. Et comme si parler de musique pouvait permettre d'occulter le reste, il reprend, sans quitter la surface blanche du regard.

« Tu joues aussi ? Nessa... Nessa disait que tu parlais du groupe au Bannersman avec tellement d'enthousiasme... »

Avant que son regard ne se pose sur lui. Avant qu'une fois de plus, il ne vienne tout gâcher.
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MessageSujet: Re: Sorry seems to be the hardest word • 2019, february    Sorry seems to be the hardest word • 2019, february  EmptyMar 23 Juil 2019 - 15:43

It's just a fad
Part of the teenage angst brigade and
I'm not, not sure,
Not too sure how it feels
To handle everyday
Like the one that just past
In the crowds of all the people

Remember today
I've no respect for you
And I miss you love
And I miss use love

Remember today
I've no respect for you
And I miss you love
And I miss you
I love the way you love
But I hate the way
I'm supposed to love you back



Silverchair – Miss you love – Vincenzo + Alastair

Pourquoi cherchait-il à piquer à ce point l’écossaise? Il ne savait pas trop. Elle aussi était à fleur de peau, pourtant. Comme lui. Comme tout le monde. Pourquoi cherchait-il toujours à pousser les gens à bout? C’était une question que sa mère lui posait toujours, à chaque fois qu’ils étaient un tant soit peu en contact. Une question au quelle il n’avait aucune réponse lui-même.

Il lui en voulait, à l’Écossaise. Il lui en voulait. Il n’avait jamais voulu se retrouver seul avec lui. Jamais. C’était trop. Beaucoup trop pour ses nerfs.

Pourtant, il était encore là. Pourtant, il avait demandé à l’infirmière de le détacher, malgré tout.

Como si vede che non li conosci ! Guardalo, il tuo demono. E un gattino disperso, davvero ! *
Regarde-le ton démon, qu’elle avait dit. Regarde-le.

Il vit l’Italien se laisser faire comme une loque, le regard rivé au plafond. L’infirmière avait emmené son équipement, en pestant entre les dents contre cette chaise qui lui bloquait le passage. Mais il restait assis, à le fixer. Regarde-le. L’infirmière lui avait jeté un regard las et avait prit le bras mou de l’Italien pour y passer la sangle. Elle avait tendu le thermomètre et il avait docilement ouvert la bouche, en regardant en l’air. Elle avait mit la pression, sortit sa montre et avait relâché. Elle avait fait ses calculs, en silence. Puis elle était repartie. Alastair n’avait même pas bougé lorsque sa machine s’était coincée, contre la chaise.

Regarde-le.

L’italien avait fait mine de vouloir se lever, sans faire attention à sa perfusion. Le besoin et la destination était évidente. Pourquoi construisaient-ils les toilettes si loin du lit, bon dieu? Cette pudeur que l’Italien avait alors que la tunique ne cachait rien, dans le dos. C’en était touchant. Il sentit son cœur se serrer, dans sa poitrine. Les pans de tissus verdâtres dévoilaient discrètement le galbe délicieux des fesses et laissait entrevoir cette intimité qu’il avait presque, deux ans plus tôt. Presque.

Avant que les deux autres décident de se joindre.

Le reste… le reste était flou… tellement flou… Ces putains de mains pleines de lubrifiants dans ses cheveux. Et ce corps si beau, si parfait qui s’éloignait… Il ne pouvait pas dire qu’il le connaissait par cœur, non. À quel point les fantasmes et les cauchemars avaient-ils déformé la réalité?

Le support à perfusion allait foutre le camp au sol. Il se leva enfin, attrapa la barre et la rapprocha en passant une main sur l’épaule de l’Italien pour le soutenir jusqu’au cabinet, comme si la tunique ne laissait pas entrevoir ce corps qu’il avait tant désiré.

« Hey! Doucement, doucement. Appuie-toi sur moi. Tu tiens sur tes jambes? T’as la tête qui tourne? Ça va? Je reste là. "

On ne pouvait pas fermer la porte, avec le support. Pas complètement. Il entendit le siège des toilettes se baisser et tout le reste. Cette intimité toute bête, toute ordinaire vraiment, le faisait frémir. Regarde-le ton démon, regarde-le.

Vincenzo ressortit du cabinet, les joues en feu, les mains crispées sur sa tunique. Il le raccompagne jusqu’au lit, avec une main dans le dos. Cette peau contre ses doigts… Il se sentait presqu’indécent. Il replaça le support de perfusion à sa place et laissa le jeune homme s’emmitoufler dans les draps, pour préserver le peu de dignité qui lui restait. Alastair fit mine de ne rien avoir vu et retourna docilement s’asseoir à sa place.

Les rimes lui revinrent en tête. Le tableau aussi. Cette mer déchainée qui fracassait tout. Le bateau à demi-renversé, le désespoir des naufragés… Son ex-copine le lui avait montré, dans un manuel. Le peintre était mort à 26 ans. 26 ans, comme lui… Il n’avais su qu’elle était la cause de sa mort.

Son cerveau fatigué s’imaginait que c’était de la syphillis. Tous les artistes de l’époque finissaient par mourir de la syphillis.

« T’as… t’as déjà pensé… je sais pas moi… t’inscrire dans un petit bar au Open Mic? Il y en a plein, dans New Town… Je les ai vu tes partitions et… et c’est joli. C’est… et juste avec une guitare… c’est tout ce qu’il faut… Je crois… je crois… je crois que ça … ça rejoindrait pas mal de gens, non? C’est… c’est touchant ce que tu fais."

Il sourit doucement.

« En tout cas, moi, ça m’aurait plu. Ça m’aurait beaucoup plu. »

Il s’arrêta un moment et fixa le plafond, un moment. Et puis la voix de l’Italien, encore rauque retentit, encore une fois. Une moue nostalgique se fit sur son visage. La musique… putain que sa musique lui manquait.

« Ouais, j’adore les Smashing Pumpkins, Nirvana, Silverchair… Nine Inch Nails… Ils ne font plus de musique comme ça… je… je ne vis que pour ça. J’étais… j’étais chanteur et pianiste dans un petit… un petit groupe à Londres et… Et tiens, tiens, attends. »

Il sortit son Iphone de la poche de sa veste et entreprit de trouver ce video que Max avait posté, des mois plus tôt, sur youtube. Le signal wi-fi de l’hôpital était à chier. Il regarda le début avec un pincement de cœur. La scène du Viper Room, la cohorte de spectateurs en délire. SES paroles aussi noires que celle trouvées dans le hangar, SA musique. Pourquoi avait-il accepté qu’un autre type les chante à sa place?

« Tiens… j’ai dû quitter pour venir ici mais… Mais c’était mon groupe, tu comprends? C’est… c’est un autre clavériste et… et le guitariste a pris le lead mais… mais on les a composé ensemble. C’est bien, non? »

Il donna délicatement l’appareil à l’italien. Le grinchement de la musique lui fit presque mal au coeur… John avait une plus belle voix que la sienne. Plus grave. Plus virile. Plus suave. Il pouvait presque noter tous les manquements de son remplacant… Au bout d’une minute ou deux, il reprit presque brusquement son téléphone et fit défiler les vidéos presque frénétiquement pour en sortir une qui datait de leurs débuts. Un cover. Un simple cover. Une video un peu tremblotante postée par un spectatrice. La copine du moment de John, sans doute. Deux ans auparavant. Juste avant qu'il ne doive à tout prix prendre une ligne ou deux de coke avant qu'il pouvoir monter sur scène. Il se sentait mieux comme ça. Il se sentait fort. Comme ça, il arrêtait de voir les romains partout, dans la foule à leurs pieds. Les autres mecs l'avaient remarqué. Ils avaient tenté de le mettre un peu de côté. Alors il s’était mis à composer, tout seul derrière son instrument. Mais là, sur cette video, c’était ses doigts, sur le clavier. Ses doigts sur les cordes de la guitare électrique. Au moins, c’était ses doigts. Et sa voix. Fluette, nasillarde. Rageuse. Mais sa voix.

« Ce n’est qu’un cover, tu me diras. Israel’s son, tu connais? Mais les nanas… quand on jouait ça, les nanas s’évanouissaient presque devant la scène… c’était marrant… »
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MessageSujet: Re: Sorry seems to be the hardest word • 2019, february    Sorry seems to be the hardest word • 2019, february  EmptyMar 23 Juil 2019 - 15:44

Il sent qu'on l'observe, alors qu'il laisse l'infirmière s'occuper de lui, comme s'il n'était plus qu'un pantin désarticulé qu'elle pouvait manipuler à sa guise. Pas de commentaire, pas d'information supplémentaire. Juste celle qu'un médecin passerait plus tard, et il se retrouve à nouveau seul avec l'anglais, dont le regard pèse encore sur lui. Il aurait voulu se cacher sous les draps, comme un enfant espère ainsi faire fuir les monstres au pied de son lit, mais un besoin primaire le pousse à en sortir. Et puis qui est le monstre, dans cette pièce, de toute façon ?
La main sur son épaule le fait frissonner, et il a toutes les peines du monde à accepter le contact sans se mettre à chialer comme un môme, encore. Arrête de dire que t'es désolé. Pourtant ça tourne encore en boucle dans sa tête.

« Hey ! Doucement, doucement. Appuie-toi sur moi. Tu tiens sur tes jambes ? T’as la tête qui tourne ? Ça va ? Je reste là. »

La honte le submerge, et les mots lui échappent, il se contente de se laisser guider, et de s'échouer sur la cuvette, le temps nécessaire. La bile remonte au fond de sa gorge, pas suffisamment pour que le contenu de son estomac ne rejoigne la faïence, seulement pour lui laisser davantage cette impression de malaise. Et c'est cramoisi qui repasse la porte, trouvant Harold là où il l'avait laissé. Je reste là, c'était ce qu'il lui avait demandé quelques minutes auparavant, non ? Il le regrettait presque, à présent. Pourtant cette main dans son dos le fait frissonner, presque malgré lui. Il aurait voulu que les circonstances soient autres. Il aurait préféré qu'ils soient encore à Rome, deux ans auparavant, et que les autres ne soient jamais intervenus.

« T’as… t’as déjà pensé… je sais pas moi… t’inscrire dans un petit bar au Open Mic? Il y en a plein, dans New Town… Je les ai vu tes partitions et… et c’est joli. C’est… et juste avec une guitare… c’est tout ce qu’il faut… Je crois… je crois… je crois que ça … ça rejoindrait pas mal de gens, non? C’est… c’est touchant ce que tu fais. »

Le visage souriant de sa libraire lui revient en tête. Elle lui a proposé de l'accompagner, un soir. Il n'a jamais osé accepté l'invitation. Il n'a pas trop osé retourner la voir, non plus, et se demande s'il arrivera à recroiser son regard. La bonne humeur de la jeune femme a quelque chose de communicatif, et il se dit que, peut-être, il arriverait à la partager un peu.

Et puis elle est douée, aussi. Il a aimé l'écouter jouer. Peut-être qu'Harold apprécierait aussi ?

« En tout cas, moi, ça m’aurait plu. Ça m’aurait beaucoup plu.
- Je connais quelqu'un qui joue dans un bar régulièrement et qui m'a proposé de la rejoindre, mais j'ai jamais... Je me sens pas de monter sur scène... devant des gens... »

Un soupir lui échappe. Il n'a jamais osé, et sans doute qu'il n'osera jamais de lui-même. A l'instant même, il ne s'imagine pas une seconde monter sur une scène, devant un public. Livrer ce qu'il a couché sur du papier à des inconnus. Pourtant... Pourtant ce que le londonien vient de dire le touche. Lui, ça lui aurait plu. Mais lui connaît l'histoire, se retrouve dans ses mots, sans doute. Naya n'a rien lu de ses compositions, sa proposition bien que touchante, ne pouvait pas prendre en compte tous les paramètres. Et il imagine déjà les autres huer une prestation qui leur déplairait.

Alors retourner la conversation vers l'autre, ça lui semble plus sûr. Et le discours d'Harold s'enflamme instantanément. En d'autres circonstances, ça l'aurait sans doute fait sourire. Il a toujours aimé voir la passion briller dans le regard des autres.

« Ouais, j’adore les Smashing Pumpkins, Nirvana, Silverchair… Nine Inch Nails… Ils ne font plus de musique comme ça… je… je ne vis que pour ça. J’étais… j’étais chanteur et pianiste dans un petit… un petit groupe à Londres et… Et tiens, tiens, attends. »

Il sent son coeur se serrer dans sa poitrine. Il était chanteur dans un groupe à Londres. Dio ! Qu'il aurait aimé entendre ça ! Il voit l'anglais sortir son téléphone, chercher presque fébrilement la vidéo qu'il finit par lancer, avec ce morceau inconnu pour lui qui résonne dans la chambre. Les lumières colorées de la salle de concert et le son métallique des instruments. Le regard de l'italien accroche celui des musiciens sur le petit rectangle face à lui, et il se reconnait presque instantanément dans la douleur qui transparaît dans la musique rock.

« Tiens… j’ai dû quitter pour venir ici mais… Mais c’était mon groupe, tu comprends ? C’est… c’est un autre clavériste et… et le guitariste a pris le lead mais… mais on les a composé ensemble. C’est bien, non ?
- Ca ne doit pas être facile. »

Il ne répond pas à la question, mais délivre son ressenti. Sa compassion aussi. Comment le britannique supporte-t-il d'entendre les autres jouer ses chansons sans lui ? Il n'a pas besoin d'avoir confirmation de l'auteur de ces mots, il le comprend à demi-mots, au travers de la fébrilité de l'autre, et de ce qu'il entend. D'une main délicate, il a attrapé l'appareil tendu, sent les larmes lui picoter à nouveau le regard. C'est bien non ?

« C'est même plus que bien » souffle-t-il enfin, pour toute réponse.

Guère expansive, mais l'émotion dans son regard, alors qu'il imagine sans peine l'anglais à la place de l'autre, sur l'écran face à lui, est sans équivoque. Il a toujours eu une imagination débordante, de toute façon, et aucun mal à mettre en images dans sa tête tout ce qu'on peut lui raconter.

Subitement, l'appareil quitte sa main, et Vince jette un regard étonné à Harold, qui ne le remarque peut-être pas, cherchant déjà frénétiquement autre chose au vu des mouvements frénétiques de son doigt sur la vitre. Et puis les premières notes retentissent et il reconnaît le morceau dans la seconde.

« Israel's son...
- Ce n’est qu’un cover, tu me diras. Israel’s son, tu connais ? Mais les nanas… quand on jouait ça, les nanas s’évanouissaient presque devant la scène… c’était marrant…
- J'aurais ptêt pas fait mieux... »

Qu'il l'a écoutée cette chanson ! Et tellement d'autres de ce groupe. De celui-là et des autres. Smashing Pumpkins, Nirvana, Silverchair, Nine Inch Nails... Ils ont les mêmes influences, il faut croire. Liés. Inexorablement. Et non, définitivement, il n'aurait pas fait mieux que les nanas sur le devant de la scène. Il se redresse sur son lit, enfin, cherche à visualiser Harold sur l'écran, mettre des images réelles plutôt que celles de son imagination sur la voix qui résonne dans la pièce. Le voir lui, sur scène, comme s'il était là, au milieu de la foule. Il retrouve les boucles blondes, matinées des lumières rouges, et jaunes, et bleues de la scène. Un flash violacé tranche l'obscurité du spectacle pour les transposer dans ce bar de Rome, et il secoue la tête. La musique fait le reste et occulte les mauvais souvenirs. Et il ressent à nouveau la connexion inexplicable qui l'avait attiré, là-bas, en Italie, quand ce blondinet à l'accent so british avait passé la porte du bar et accroché son regard.

« J'aurais grave aimé voir ça... »

Si seulement ils s'étaient rencontrés dans ces circonstances-là, plutôt. S'il avait été une de ces groupies, à l'observer en douce, espérer être remarqué dans la foule en sachant pertinemment qu'il n'en serait rien, suivi son compte sur les réseaux sociaux peut-être...

« T'as encore d'autres morceaux en ligne ? »

Il ne s'en lasse pas, pas une seconde. Mieux, c'est comme il se sentait un peu plus vivant grâce à la musique de l'anglais. Il pourrait y passer la journée, il le sait. L'autre se lasserait certainement avant lui.

Ou la réalité les rattraperait : la porte s'est ouverte, non pas pour découvrir le visage réconfortant de Nessa, mais celui d'un docteur à la mine stoïque qui demande poliment à Harold de sortir et Vincenzo déglutit avec peine. Les quelques minutes en sa compagnie lui paraissent interminables, l'italien ne sait pas sur quel pied danser. Et dans le couloir, la rouquine revient avec son gobelet déjà presque froid, tend celui brûlant commandé par le londonien.

« Ca va aller ? »

Question autant pour lui, pour son état psychologique à lui, après tout ce qu'il doit avoir enduré, que concernant le romain de l'autre côté de la porte. Elle se retrouve à nouveau seule avec lui dans ce couloir, et même si elle ne regrette pas un instant la décision qu'elle a prise de les laisser seuls tous les deux - elle reste certaine que c'était nécessaire - tant qu'elle n'aura pas d'information sur ce qui s'est passé, sur leurs réactions, elle ne risque pas d'être réellement sereine...

*

« Ils disent que je vais rester en observation, en service psy, le temps d'être sûrs... »

Qu'il ne recommencera pas tout de suite à tenter de mettre fin à ses jours. Il n'a presque pas menti en affirmant que non, que c'était une lourde erreur, qu'il était ivre, et pas complètement lui-même. Qu'il n'allait certes pas très bien, mais qu'il savait qu'il avait des gens autour de lui, et qu'il n'était pas si désespéré que ça au fond. Que promis, il ne toucherait pas à l'alcool, histoire de ne pas envenimer son état et lui faire perdre toute commune mesure. Et que oui, il verrait un psychiatre comme il lui était conseillé. Sans doute qu'il aurait dû le faire il y a bien longtemps déjà. Il a juste évité d'expliquer ses raisons. De toute façon, elles ne regardent que lui. Et Harold.

« Que je pourrai sans doute sortir d'ici quelques jours, sous conditions... Et qu'il faudrait que je voie quelqu'un... »

Sous condition médicamenteuse, déjà, il en est parfaitement conscient. Il se passe une main fébrile dans les cheveux. Ca semble mettre un terme à cette nuit de Saint-Valentin cauchemardesque, Nessa lui sourit tristement, la main sur la sienne, mais son regard cherche celui de l'anglais. Est-ce qu'il va partir, maintenant ? Et disparaître de sa vie ? Son coeur se serre à cette idée et la seule qui traverse son esprit comme pour le retenir c'est de lui demander s'il peut encore écouter un peu son groupe.

« C'était sur un compte youtube ? Untitled, t'as dit, c'est ça ? Je peux... Je peux les retrouver facilement ? »

Est-ce qu'il arriverait à garder le contact en passant par les réseaux ? Pourquoi ne lui demande-t-il pas son numéro, tout simplement, hein ? Il ne s'en sent tout simplement pas capable. Pas légitime. Et c'est encore et toujours Nessa qui prend les devants. Nessa, qui est toujours là pour prendre soin de lui, quand bien même elle est plus jeune que lui. Ca a toujours été.

« Tu veux rester ? Ou rentrer te reposer un peu ? Ca a été une nuit et un début de journée éprouvants pour tout le monde... Tiens. C'est mon numéro. Et le sien. Je t'appelle quand il peut sortir. »

Ca n'est pas une question, une affirmation pure et simple. Elle n'a aucune intention de ne pas prévenir l'anglais des nouvelles concernant Vincenzo. A-t-il réellement d'autre choix que de lui laisser son numéro de portable ? Peut-être pas, elle ne compte visiblement pas en rester là. Et malgré lui, le regard de l'italien semble le supplier d'accepter, quand bien même il ne se sent pas légitime de le lui demander.
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